Édito juin 2013

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C’était la Journée Mondiale SLA vendredi passé et j'ai aussi eu l'honneur et le plaisir d'assister à l'inauguration officielle de « Middelpunt », le centre de soins à MIDDELKERKE. Je connais assez bien MIDDELKERKE parce que ma mère et ma grand-mère choisissaient toujours cet emplacement lorsqu’elles allaient à la mer. Je n’en ai jamais connu la vraie raison, elle pourrait avoir quelque chose à voir avec son emplacement, au milieu de la côte, parce que les deux dames avaient une difficulté maladive à choisir. Elles utilisaient le doute comme pathologie dans leur jeu de demande d'attention.

Le centre de soins est l'enfant chéri de la Ligue SLA et bien sûr aussi de notre président, Danny, qui s’est engagé cœur et âme pour la réalisation en primeur de celui-ci. C'est un endroit où les patients avec des besoins en soins lourds, tels que les pALS, peuvent passer un congé pour déstresser, respirer l’air marin, se détendre, etc…

Lors de ma visite la semaine dernière, j'ai immédiatement compris, sans plus d’explications, pourquoi ce Centre peut offrir tout cela. Le Centre respire la paix, à la fois à l'intérieur et l'extérieur. Le bâtiment est spacieux, ouvert, avec beaucoup de lumière et une architecture à la simplicité touchante qui apparait comme une évidence, vous vous sentez comme si vous étiez déjà venu là avant. Je connais quelque chose en architecture et je trouve le concept très beau, opérant dès le premier regard. Une réussite pour les concepteurs et les exécutants. La structure carrée avec son mouvement circulaire de la promenade, où vous pouvez toujours garder le contact visuel est aussi merveilleuse. Si les couloirs avaient été un peu plus larges, ils auraient aussi pu parfaitement servir de circuit pour une course en chaise roulante, réveillant l’esprit ludique en nous. Plus sérieusement, le Centre est magnifique comme il est, et l'espace m'a fait du bien. Aussi, si je me demande comment les pALS en fauteuils roulants trouvent le Centre, je suppose qu’ils sont soulagés en constatant l’espace disponible pour manœuvrer.

L'inauguration a été importante, avec des peoples et d’autre invités de marque, et comme cerise sur le gâteau, le membre le plus cool de notre famille royale, le Prince Laurent, qui avait arrêté spécialement de planter des arbres en Israël pour arriver à temps (mais avec un peu de retard) à MIDDELKERKE. La visite d’un Prince est toujours quelque chose de spécial, parce qu’elle attire toute l'attention et que de nombreuses équipes de tournage de la presse et de journalistes viennent dans son sillage, ce qui est bien sûr une bonne opportunité pour « Middelpunt ». Une brève séquence au journal de sept heures de la VRT a ainsi été consacrée à la Ligue SLA, Danny et Evy y ont fait une présentation et donné des explications. En fait, c'est génial que quelque chose comme cela arrive, surtout maintenant, dans le cadre de la campagne médiatique de la Ligue, pour informer d’avantage sur la maladie, et pouvoir ainsi récolter plus de fonds pour la recherche.

Cette inauguration est le résultat de plusieurs années d’efforts de la Ligue, y compris de certains membres pALS, entretemps décédés, et termine la période très chargée qui l’a précédée. En fait, je voulais écrire ce mois-ci sur les aspects médicaux et la recherche scientifique, mais la période a tout simplement été trop chargée et il y a trop de nouvelles à écrire sur ce qui se passe maintenant.

Le mois dernier, j'ai participé à trois événements pour en écrire un article. Avant l'inauguration de ‘Middelpunt’, il y avait aussi la première participation de Toto à Forêt National et la soirée de bienfaisance du pALS Mil Boeckx. Suite à cette énumération, vous pensez peut-être que le plus impressionnant était la rencontre avec Toto, ou le Prince Laurent et l’inauguration de l’imposant Centre à la mer, ou peut-être même l'éminence un peu grise de Geert Bourgois, également présent à l'inauguration hier, ou encore pouvoir photographier Marianne ou Simmoneke de la série « Thuis ». Même si je dois admettre tout cela m’a grandement impressionné, ce qui m’a le plus marqué était, sans doute, la soirée de bienfaisance de Mil Boeckx à Oosterwijk. Où diable se trouve Oosterwijk ? C’est un petit village quelque part près de Westerlo, à peine connu de quelques GPS, moins obsolètes que le mien. Petit mais de qualité, comme l’on dit parfois.

Et c'est cela qui justement m’impressionne: quand le « petit » devient « grand ». Mil est juste un homme qui a été forcé de commencer sa lutte contre la SLA, il y a quelques années. Il est maintenant paralysé et utilise un ordinateur pour prononcer ses mots. Il n'est certainement pas un people ou un membre de la famille royale - et je ne pense pas non plus une rock star, même s’il adore la musique -, mais il a réussi à organiser lui-même, avec son cercle d'amis et sa famille proche, une soirée de bienfaisance pour la Ligue SLA au profit de la recherche et qui a abouti à un montant record. Ce n'est pas seulement le bénéfice lui-même qui m’a impressionné, même si le montant est bien sûr éloquent, mais surtout l'événement en lui-même. Il y avait tellement de monde dans la grande tente de fête à l'église d'Oosterwijk. C’était comme si tout le village faisait la fête ou que le bourgmestre y tenait son bal.

Tous ces gens ordinaires debout ou assis à table, à l'intérieur ou à l'extérieur, immobiles ou se promenant, des enfants jouant et une scène avec de la musique, des artistes, des instruments. Toutes et tous voulaient répondre présents et être là pour aider et soutenir Mil, donner de l'argent pour la cause et l'encourager. La presse a évoqué 4000 personnes. Elles ne sont pas venus pour entrevoir Steve Lukather, Toto ou le Prince Laurent (ou encore moins Geert Bourgois), non, ils sont venus pour Mil Boeckx lui-même, quelqu'un qu’ils connaissaient probablement mieux que les familles royales et qui les touchait plus profondément. C'est ce qui m’a le plus impressionné. Qu'un seul homme parvient à mettre tout cela en branle et a ainsi réussi à impliquer tous ces gens. Il y a suffisamment de rencontres de football en première division de la Ligue belge auxquels moins de personnes assistent que lors de cette soirée de bienfaisance. J’en étais, et j’en suis encore, muet d’émotion.

Une activité aussi imposante engendre une grande émotion, certainement aussi chez Mil lui-même et sa famille proche. C'est prenant, beau et en même temps émouvant de pouvoir lire l'émotion de Mil sur son visage. En fait, je ne connais pas beaucoup de choses plus belles au monde et dans la vie. Mil parvient à communiquer d’une manière ou l’autre avec les gens, sans mots ou texte, en silence, sans mouvements, juste avec ses yeux et son regard et, bien sûr, ses mimiques et son rire. Je lui souhaite encore le meilleur et le remercie pour son courage de réaliser tout cela dans la situation qui est la sienne. Je ne sais pas si j'aurais l’audace et le courage de le faire de même, pas maintenant dans mon état, et certainement pas si je souffrais de la SLA...

En parlant de sensations, avant je pensais que ceux qui étaient immobilisés dans un fauteuil roulant, comme les pALS, ne sentaient rien. J’ai pris conscience que ce n’était pas vrai pour les patients atteints de la SLA!

C’est parfaitement logique bien sûr, seuls les muscles étant immobilisés, sans lésions nerveuses dans les membres. Mais vous n’y pensez pas d’office et n’y attachez pas d’importance. Les pALS éprouvent des sensations comme les autres personnes les ressentent : de l’effleurement, de la tape amicale à la vraie douleur. Pouvoir sentir est parfois plutôt un inconvénient lorsqu’on ne peut plus se déplacer ou ne rien faire, mais ne plus rien sentir est encore plus débilitant et handicapant. Cela me rappelle ma propre maladie où le choix et la recherche d'équilibre entre sentir et l’absence de sensibilité est souvent également un problème majeur.

Imaginez que vous souffriez de SLA et que ne parvenez plus à bouger, tout en éprouvant les mêmes sensations que votre corps perçoit maintenant. C'est l'été. Il fait un temps estival humide, l’air est chaud et moite et il y a beaucoup de moustiques et de mouches. Des grosses mouches, tenaces, qui sucent ou mordent dans votre main, enfin qui piquent. Elles restent longtemps, jusqu’à ce que vous les chassiez avec un mouvement. Mais si vous avez la SLA, vous sentez cette fichue mouche sur vous et elle pique. Cela fait mal. Pars la mouche! Vous voulez la frapper ou la chasser, mais vos membres ne bougent pas et vous sentez à la main des picotements entre douleur et démangeaison. Vous ne disposez pas non plus, contrairement aux chevaux ou aux vaches, de queue pour chasser ces indésirables. Non, vous êtes là, immobilisé, heureusement que quelqu'un d'autre, disons un soignant, vous aide et chasse la bestiole d’un simple geste, d’une pichenette. Cela ressemble un peu à la bénédiction d'un pasteur et cela se ressent un peu ainsi, parce que lorsque l’on souffre de la SLA tout geste d’aide est une bénédiction.

Revenons brièvement sur l'inauguration de « Middelpunt » : je pouvais sentir chez la plupart des patients présents une forme de bonheur, une sorte d'aura, de félicité, car il y avait enfin un endroit où tout est présent, où on peut aller pour se détendre loin de tout, avec toute sa famille, sans trop de difficultés. Notre président Danny éprouvait, je suppose, un sentiment de bonheur, mais aussi de la fatigue, même de l’épuisement. C'est finalement son rêve pour lequel il a dû travailler si dur qui est devenu réalité, et, bien sûr, cela a aussi un prix. J'espère donc que d'autres patients feront à l'avenir usage de « Middelpunt », afin que tout ce sang, ces sueurs et ces larmes atteignent leur objectif.

J'ai déjà l'intention d’écrire un article sur « Middelpunt », lorsque le Centre fonctionnera depuis quelque temps, pour y couvrir les patients et rendre compte de leur bonheur et expérience. Je trouve cela bien intéressant et pense que ce sera un beau texte sur les pALS.

Un dernier aspect intéressant à « Middelpunt », également sur le plan politique, est le fait que le personnel là-bas souffre aussi d’un handicap. Il peut travailler ici, plutôt que dans un atelier protégé, dans un environnement pratiquement normal, aider et prendre soin d’autres personnes déficientes. Et, c'est très beau. Je suppose que cela à voir aussi avec la compression des coûts d'exploitation, l’autre côté de la médaille, mais il est bon que ces gens peuvent se rendre utiles dans un contexte social et pour des patients qui peuvent utiliser toute aide. Cela se base en fait sur ce qu’être social veut effectivement dire, ou comme mon père a toujours décrit le « socialisme », ou peut-être plus exactement, ce que la solidarité est souvent: un nécessiteux qui aide un autre nécessiteux.

Je ne dis pas cela sur le plan strictement politique. Trop souvent, ceux qui n'ont pas besoin d'aide ne ressentent pas le besoin d’en donner. Heureusement, il a d’autres motifs qui peuvent encourager les gens à aider, parfois moins nobles, mais s’ils fonctionnent et si cela peut aider ceux qui sont dans le besoin, c'est tant mieux. Ici aussi, derrière « Middelpunt », il y a probablement aussi diverses motivations dans l’octroi de tous ces fonds nécessaires à sa mise en œuvre. Ce sont les moyens d’un promoteur privé, l'argent des gouvernements, les dons en argent et l’empathie pure qui ont assuré ce résultat effectif. J'espère vivement qu’une organisation comme la Ligue SLA, qui n’a que les intérêts des patients à l'esprit, restera étroitement impliquée et pourra continuer à assurer l'exploitation et la gestion de « Middelpunt ». Je crois que c’est déjà le cas maintenant et restera garanti à l'avenir de l'organisation et sa structure complexe, parce que la Ligue a beaucoup à dire, même indirectement, dans l'ensemble. Ce que je déteste le plus est quand on utilise ou abuse, pour des intérêts politiques, commerciaux ou autres, de la solidarité avec les gens dans le besoin. Donc, si c'est beau que des handicapés peuvent travailler et aider d'autres personnes handicapées, je me méfierai toujours de la tendance à utiliser des handicapés ou des étudiants pour compresser les coûts salariaux élevés et améliorer la compétitivité de nos entreprises et l’économie.

Quand je pense au secteur des maisons de retraite qui s'avère actuellement un des secteurs d'investissement les plus intéressants pour les personnes disposant de capital, cela me fait réfléchir. Parce qu'il doit être bénéficiaire pour attirer les investisseurs qui iront toujours là où l'argent est produit. Ils participent, mais peuvent aussi bien se retirer, sans engagement.

J’évoque ici une tendance globale de la société, à laquelle chacun d'entre nous devrait réfléchir, ainsi que les politiques, sur la façon de préserver la bonne éthique et d’éviter les violations et les abus au sein de ces nouvelles formules dans tout le secteur de la santé. Aussi, pour « Middelpunt », j'espère que tous ceux qui ont coupé le ruban devant les caméras, veilleront à ce que ce rêve de paralysés en fauteuils roulants ne disparaitra pas à terme dans les méandres de bonnes intentions, d’opportunités, d’excuses et de lâcheté politique. Non, j'attends que ce Centre soit un exemple et le reste. Et pour cela, fidèles à la persévérance de notre Président Danny Reviers, nous allons continuer de nous en assurer, aujourd'hui, demain et encore longtemps après… Que le grand appel à l'aide ne soit disparu sur les vagues de la mer du Nord, dans le silence et la tranquillité de cette immense masse d'eau en mouvement permanent. Un refuge pour tout ce qui est stupide dans notre monde, une échappée du trafic et de l'agitation de votre trajet en voiture à l'heure de pointe à Bruxelles et du stress dans les bureaux.

En parlant d’appel à l'aide, la campagne médiatique de la Ligue SLA est omniprésente ces dernières semaines, avec des spots à la radio, à la télévision, dans les médias sociaux, dans les journaux. C'est un grand cri, et il s’amplifie de jour en jour. Je pense à la célèbre peinture d’Edvard Munch, « le cri », et vois à présent comment les ondes sonores se cumulent et commencent à résonner dans les niveaux les plus élevés. Nous en voyons déjà les premiers signes au lendemain de l'ouverture de « Middelpunt », lorsque la parlementaire Open VLD Ine Somers annonce une demande d’augmentation des subsides pour la recherche SLA. Elle réfère au sida, qui fait apparemment autant de victimes que la SLA, et pour lequel le gouvernement va dépenser beaucoup plus d'argent. Maintenant, on peut difficilement comparer la SLA avec le sida, parce que cette maladie touche l'ensemble de la population, plus particulièrement les jeunes, et parce que tout le monde court le risque de contracter cette infection. La SLA est certes différente, vous ne devenez pas infecté, vous ne pouvez rien faire pour la prévenir, elle vous tombe dessus comme un piano à queue tombant sur la tête du 101e étage. Pourtant, comparer le nombre de victimes et les moyens employés est intéressant et incite à réfléchir. La SLA est beaucoup plus arbitraire que le sida, qui se situe plus dans des groupes spécifiques à risque. La SLA est une tueuse en série furtive indifférente à qui sera sa prochaine victime, jeune, vieux, homo ou hétéro, homme ou femme, prêtre ou prostituée, tous ont la même chance de croiser cet exterminatrice sur leur route. Serons-nous jamais en mesure de découvrir sa vraie nature et identité ?

 

Tristan Herftijd,

Sugar Mountain, juni 2013

 

Traduction : Fabien

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