Discrimination à cause d’une anomalie génétique

09-11-2005

La science, les tests génétiques pourraient créer de nouvelles inégalités sociales

'Certains questionnaires permettent aux employeurs ou aux assureurs de sonder les causes de décès des parents ou d’autres membres de la famille et d’obtenir ainsi des infos qui relèvent du domaine de la vie privée'

Discrimination génétique

Il a de tout temps été difficile d’éradiquer les discriminations basées sur la couleur de la peau, les préférences sexuelles ou le sexe. Les progrès scientifiques créent maintenant un nouveau type d’exclusion larvée: la discrimination génétique. L’étude la plus importante jamais consacrée aux conséquences des tests génétiques démontre que parmi les Australiens qui ont subi de tels tests, un sur douze s’est par la suite vu refuser un emploi ou une assurance-vie. Un nouveau gouffre est donc en train de se créer, également en Belgique: celui qui sépare les surhommes génétiques et les malchanceux qui présentent des prédispositions pour telle ou telle maladie...

Par Sara De Sloover

Des chercheurs australiens ont interviewé plus de mille personnes qui avaient un jour subi un test génétique prédictif pour dépister des maladies graves comme des cancers ou des maladies cérébrales. Les résultats ont été publiés dans le récent numéro du New Scientist. La plupart des personnes interrogées étaient contentes d’avoir subi le test parce qu’elles savaient maintenant à quoi s’en tenir, mais ce qui est inquiétant, c’est que 87 personnes, soit 7,3% affirment ne pas avoir obtenu d’emploi ou d’assurance-vie à cause des résultats du test. Personne n’a introduit de plainte formelle parce que tous redoutent le stress, les émotions et les tracasseries bureaucratiques d’une telle démarche.

L’accusation n’est en soi pas nouvelle. Ce qui est par contre nouveau, c’est que l’industrie australienne des assurances a décidé de collaborer et que les accusations ont cette fois-ci pu être vérifiées. Comme les enquêtes en matière d’informations génétiques sensibles avaient jusqu’à présent toujours été anonymes, les employeurs et les assureurs avaient pu rejeter facilement les plaintes, et les tribunaux ne furent que très rarement saisis. La directrice des recherches Kristine Barlow-Stewart et son équipe contestent d’ores et déjà une affaire concernant une femme qui a réagi positivement à une variante du gène qui augmenterait le risque du cancer du sein et des ovaires. L’assureur de cette femme enfonça encore le clou en refusant de couvrir n’importe quelle forme de cancer.

Les personnes qui ont dans leur famille des cas de cancer agressif ou de maladie musculaire sont libres de rester dans l’ignorance ou d’être informées des risques qu’ils courent. Egalement en Belgique. “La plupart des tests que nous effectuons ont trait au cancer du sein ou des intestins”, commente le généticien Bart Loeys (Université de Gand). "Ou aux pathologies neurologiques, comme la maladie de Huntington. Grâce à ces tests, les patients à risques peuvent apprendre avec une certitude de 100% s’ils vont être atteints ou non par la maladie."

Les résultats de ces tests sont strictement interdits aux assureurs et aux employeurs. C’est stipulé dans la loi belge et est donc à première vue une protection sans faille contre l’utilisation abusive des informations génétiques. Toute loi présente néanmoins des échappatoires, commente Herman Nys, professeur de droit médical au Centre de bio-éthique et de droit de la KUL. "Les employeurs et les assureurs peuvent utiliser des questionnaires pour sonder les causes de décès de parents et d’autres membres de la famille et apprendre ainsi des choses confidentielles. En cas d’embauchage, certains employeurs demandent parfois informellement si le candidat a déjà subi un test génétique."

Les médecins et les experts en sciences éthiques se font de grands soucis quant aux implications de ces tests. La vzw De Maakbare Mens, qui s’occupe de problèmes de bio-éthique, a interrogé l’année dernière 375 étudiants en médecine et en sciences éthiques pour recueillir leur avis sur la recherche génétique. Une écrasante majorité de 76% des futurs médecins et experts en sciences éthiques pense que “permettre à des tiers d’accéder librement aux résultats de ces tests aboutira par stigmatisation à la création d’une sous-classe génétique”. 87% des étudiants veut contrecarrer les assureurs et n’a pas l’intention de les informer d’éventuelles tares génétiques familiales. Il y a toutefois un revers à la médaille. "Si les personnes atteintes de maladies gravent taisent leur mal collectivement, elles minent la solidarité collective”, prévient le philosophe Johan Braeckman (Université de Gand). "Leurs enfants touchent la prime, mais les assureurs risquent la faillite."

Herman Nys ne se souvient d’aucun procès se rapportant à la discrimination génétique. “Mais comme les assureurs belges ne sont pas du tout obligés d’expliquer pour quelle raison ils refusent telle ou telle personne, l’intéressé n’apprend souvent jamais sur quoi le refus s’appuie.” Cela crée parfois des situations très bizarres: “La loi anti-discriminatoire de 2003 a incité un certain nombre de personnes qui n’avaient pas obtenu de police des compagnies d’assurance à s’adresser à la médiatrice du secteur des assurances. Lorsque cette dame demanda des explications aux différentes compagnies d’assurance, celles-ci se cachèrent assez paradoxalement derrière la loi des droits des patients. ‘Il s’agit là d’informations médicales confidentielles’ lui répondit-on alors qu’elle avait reçu une procuration de la personne concernée. Conséquence: en dehors de la compagnie d’assurance elle-même, personne ne connaît les raisons du refus." En 2004, la médiatrice reçut 5% de plaintes en plus de personnes qui n’avaient pas obtenu de contrat d’assurance. Le rapport annuel signale que même ‘la médiatrice ne parvenait à obtenir que des informations vagues ou partielles, qui ne lui permettaient pas de répondre aux questions du consommateur’.”

Nys plaide pour une protection juridique fiable et réaliste du patient. “Car les tests génétiques se multiplient. Si l’on souhaite que les gens y fassent appel – ce qui peut également être très important pour leurs enfants – il faut pouvoir leur assurer que leurs données n’aboutiront pas chez les compagnies d’assurance ou leurs éventuels employeurs.”

 

Info: www.demaakbaremens.org. L’association parcourt en ce moment le pays avec Pandemonia, une représentation théâtrale concernant les tests génétiques. La brochure “Test génétiques: bénédiction ou malédiction? Dialogue critique avec les jeunes” coûte 5 euros.

Dans le film de SF Gattaca avec Ethan Hawke et Uma Thurman, la société s’est divisée en une couche supérieure d’individus parfaits génétiquement manipulés et une couche inférieure d’êtres procréés ‘de façon naturelle’. Une science-fiction qui pourrait devenir plus vite qu’on ne le pense réalité.

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