Chargement toxique: le rôle de l'algue bleue verte dans la maladie du neurone moteur
15-10-2013
Jolies mais mortelles: les scientifiques comprennent maintenant comment l’algue bleue verte est liée aux maladies neuro-dégénératives. Mark Sadowski.
Les scientifiques savent depuis longtemps que l’exposition à l’algue bleue verte est liée à une fréquence accrue de plusieurs maladies neuro-dégénératives. Mais pour quelle raison y-a-t-il un lien ? Cela reste un mystère jusqu’à présent. Une recherche publiée dans le journal PLOS ONE pourrait aujourd’hui y apporter une réponse.
Une toxine contenue dans les algues appelée BMAA a été associée pendant longtemps à la fréquence accrue d’une maladie des neurones moteurs appelée Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA). Mais pendant des années, cette hypothèse a connu plusieurs revers, les sceptiques invoquant un trou béant dans la théorie : l’absence d’un mécanisme plausible.
Aujourd’hui, une équipe composée de biologistes cellulaires et d’ethnobotanistes, y compris moi-même, a révélé que la BMAA simule un acide aminé que notre corps utilise naturellement pour produire des protéines appelées Sérine-L. Confondant la toxine avec un acide aminé, notre corps l’incorpore dans des protéines humaines, ce qui a pour effet de les rendre nocives.
Etant donné que les personnes peuvent être exposées à des niveaux plutôt bas à la BMAA pendant longtemps, cela peut prendre entre 10 et 15 ans avant que la SLA n’apparaisse. Mais le temps qui s’écoule entre le diagnostique et la mort ne peut prendre que 3 ans.
Les roussettes de Guam nous donnent des indices.
On a identifié la BMAA pour la première fois il y a 40 ans, mais on n’avait jamais établi de lien avec la maladie avant que l’ethno-botaniste Paul Cox n’explore la jungle de l’île de Guam dans l’océan Pacifique.
Il était à la recherche des causes d’une maladie neurologique dévastatrice appelée Sclérose Latérale Amyotrophique/ (SLA), maladie qui avait décimé presque la moitié de la population indigène adulte, les Chamorros.
La BMAA a été identifiée pour la première fois dans la jungle de Guam.
Observatoire de la terre de la NASA.
Malgré le fait que 20 gènes ont été liés à la SLA, les causes restent inconnues dans 90% des cas et il n’existe aucun remède. Comme on pouvait s’y attendre, la recherche de causes génétiques sur l’île de Guam est entrée rapidement dans une impasse.
Mais le voyage n’a pas été vain. Cox a remarqué que tout comme les aborigènes australiens, les Chamorros utilisaient énormément de graines de palmier cycas pour produire de la farine utilisée dans les tortillas et les boulettes. Et comme leurs homologues australiens, ils savaient que la farine non lavée contenait un poison, c’est pour cela qu’ils la lavaient soigneusement avant de l’utiliser.
Cox et sa collègue Sandra Banack ont découvert une neurotoxine dans la farine, mais elle était présente en si petite quantité que les autochtones auraient dû en consommer des tonnes avant de tomber malade.
Délicieuse mais empoisonnée
Cox et Banack se sont intéressés également à l’engouement des Chamorros pour la soupe de roussette à la noix de coco – un délice décrite par les locaux en ces termes : « comme rien de ce que vous n’ayez mangé auparavant. »
Les roussettes mangeaient aussi les graines de cycas mais curieusement elles présentaient des niveaux excessivement élevés de BMAA par rapport à ce qu’elles consommaient.
Une analyse de leurs tissus a révélé de la BMAA collée à leurs protéines, lui permettant de se concentrer dans leur chair; quand les Chamorros mangeaient les roussettes, ils ingéraient une énorme dose de BMAA.
Tout comme les aborigènes australiens, les Chamorros utilisaient les graines du palmier cycas pour faire leur farine.
Pamla J. Eisenberg
Ce processus, que l’on appelle désormais la “bioconcentration” a depuis été observée chez les mollusques, les crustacés et les requins. Mais a-t-il un lien avec la neurodégénération ?
De la BMAA a été retrouvée dans les tissus cérébraux de patients souffrant de SLA sur l’île de Guam, ainsi que chez les personnes atteintes d’ Alzheimer en Amérique du Nord. D’autres populations qui consomment également de la farine de cycas - dans la péninsule de Kii au Japon et en Papouasie Nouvelle Guinée Occidentale - ont aussi fait l’expérience d’un taux élevé de sclérose latérale amyotrophique
Une analyse Google Map du New Hampshire aux Etats Unis a suivi des personnes atteintes de SLA ayant vécu près de lacs ou d’autres points d’eau où fleurissent fréquemment des algues.
Nature ne veut pas toujours dire sûr
L’idée que les acides aminés qui ne sont pas d’origine humaine puissent provoquer des maladies n’est pas nouvelle ; les plantes fabriquent des milliers de substances analogues qui ont un lien avec les maladies humaines et animales. Le neurolathyrisme par exemple est un état permanent de paralysie que l’on rencontre principalement dans les régions affectées par des famines.
Nous avons passé plus de 10 ans en laboratoire à observer la substance utilisée pour la maladie de Parkinson, appelée la levodopa, ou L-DOPA, qui se rapproche de l’acide aminé d’origine humaine, la tyrosine.
Tout comme la BMAA, la L-DOPA peut aussi être incorporée « par erreur » dans nos protéines, et comme la BMAA, les protéines qui en résultent ne se rabattent pas correctement et s’amoncellent de manière indésirable dans la cellule au fil du temps. Ces déchets finissent par étouffer la cellule, provoquant une mort programmée ou suicide de la cellule.
Une photo aérienne d’un nuage d’algue bleue verte qui s’étend sur 800km le long du fleuve Murray, entre Albury et l’ouest de Swan Hill, au nord ouest de l’état de Victoria, Avril 2009.
AAP
On sait à présent que le suicide cellulaire provoqué par des cellules qui se replient mal se produit dans une variété de troubles neuro-dégénératifs tels que l’Alzheimer, la maladie de Parkinson, et c’est important, la SLA.
L’algue bleue verte et la SLA
La taille et la fréquence des floraisons d’algues, qui ont l’apparence d’un tapis vert sur les lacs et les rivières, grandit avec l’augmentation des températures de l’eau et le teneur excessives en nutriments dans les points d’eau tels que les lacs (eutrophisation).
En effet l’Australie est l’heureux témoin de la plus grande floraison d’algue en eau douce qui a eu lieu durant l’été de 1991/1992, couvrant 1200 kilomètres du bassin Barwon-Murray. Mais si nous sommes tous exposés à la BMAA, pourquoi ne développons-nous pas tous la SLA ?
Avec une fréquence de un sur environ 100 000, la SLA est relativement rare; l’exposition à la BMAA seule n’est à priori pas suffisante pour déclencher la maladie. Comme beaucoup de maladies, il est probable que la SLA est un état multifactoriel qui requiert la combinaison de plusieurs facteurs pour déclencher la maladie.
La recherche commence à pointer du doigt le rôle du mauvais fonctionnement du recyclage et du repli de nos cellules. Au fur et à mesure qu’elles vieillissent, leur fonction décline et peut contribuer à des troubles neurodégénératives.
La BMAA n’est peut-être qu’un seul facteur dans le cadre de cette maladie dévastatrice, mais au moins on sait comment elle pourrait être toxique. Et comme nous avons des preuves que la BMAA joue un rôle dans le remplacement de la sérine-L, ces constatations pourraient contribuer au développement d’une thérapie. C’est quelque-chose pour les patients, dont beaucoup n’ont rien.
Traduction : Xavier
Source : The Conversation