SLA: une ou plusieurs maladies?

11-02-2021

Affection neurodégénérative caractérisée par une atteinte des neurones du cortex moteur, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) conduit le plus souvent au décès du patient dans les deux à cinq ans suivant le diagnostic. Elle demeure mal connue, d’autant qu’elle se décline en plusieurs sous-types qui laisseraient à penser que SLA est le nom générique de différentes maladies.

Également baptisée maladie de Charcot, du nom du neurologue de la Salpêtrière qui la décrivit en 1869, et, Outre-Atlantique, maladie de Lou Gehrig, par référence au célèbre joueur de baseball qui en décéda en 1941, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) a une incidence annuelle de deux à trois nouveaux cas et une prévalence de cinq à six cas pour 100.000 personnes. On observe cependant certains clusters, comme l’île de Guam, dans le Pacifique, où sa fréquence anormale est attribuée à une intoxication alimentaire par le bêta-N-méthylamino-L-alanine (BMAA), un acide aminé excitateur neurotoxique présent dans une farine traditionnellement consommée par les habitants.

«Ce n’est pas la seule région la plus touchée», indique le Pr Gaëtan Garraux, neurologue, responsable du groupe MoVeRe au CHU de Liège et au GIGA-CRC In Vivo Imaging de l’Université de Liège. « Ainsi, dans le sud de la France, la prévalence de la maladie est au moins deux fois plus élevée que la normale aux alentours de l’étang de Thau qui borde la ville de Sète.» Et d’ajouter que des études scientifiques ont établi un parallèle avec l’origine de la SLA dans l’île de Guam. Le BMAA a été retrouvé dans les huîtres et les moules peuplant l’étang avec des pics de concentration lorsque les cyanobactéries (algues bleues) pullulent dans les eaux. Il a également été détecté sur la terre ferme dans certaines plantes consommées par des animaux et par l’homme. Les racines de ces végétaux captent l’acide aminé neurotoxique délivré par les cyanobactéries qui colonisent le sol. D’autres clusters concernent par exemple certains milieux sportifs (anciens footballeurs du Calcio, anciens rugbymen...), ainsi que nous l’avons exposé dans un précédent article (voir jdM N°2657).

La SLA est caractérisée par la dégénérescence progressive et la mort des neurones du cortex moteur tant du cerveau (neurones moteurs supérieurs dits centraux) que de la corne antérieure de la moelle épinière et du bulbe rachidien (neurones moteurs inférieurs dits périphériques). De la sorte, les muscles striés squelettiques finissent par ne plus recevoir d’influx nerveux et s’atrophient petit à petit jusqu’à ce que le cerveau devienne incapable de commander et de contrôler les mouvements volontaires, y compris la respiration. En fin de vie, le patient n’est généralement plus en mesure de parler, de bouger, de manger ni même de respirer de façon autonome.

Un spectre étendu
Comment se présente la maladie? «Au départ, les malades se plaignent notamment d’une perte de force musculaire qui peut atteindre soit les muscles de la sphère oropharyngée et linguale, soit les muscles des membres», explique le Pr Garraux . La première forme de l’affection (20% à 30% des cas) est dite bulbaire et se traduit dans un premier temps par une perturbation des fonctions de déglutition, de phonation et de motricité de la langue. L’autre forme, où les symptômes initiaux affectent les muscles des jambes ou des bras, c’est selon, est qualifiée de spinale.

«Selon la forme de SLA, les premiers symptômes de la maladie peuvent inclure, outre une faiblesse musculaire, des fasciculations, des crampes musculaires liées à la dénervation, des troubles de l’élocution, une voix nasonnée, des difficultés à mastiquer ou à avaler, ou encore des troubles de la marche», précise Gaëtan Garraux. « Lorsque l’atteinte initiale porte sur les membres supérieurs, on observe souvent une fonte musculaire plus prononcée au niveau de la main, avec des espaces interosseux amoindris. C’est ce qu’on appelle la main d’Aran-Duchenne ou main de singe, une main parétique caractérisée par une extension de la première phalange et une flexion des deux dernières.»

Dans la SLA, les capacités sensitives des patients sont préservées. Par ailleurs, même à un stade avancé de l’affection, les malades gardent le contrôle des muscles oculaires et des sphincters. Or les uns et les autres sont pourtant commandés par des motoneurones alpha. Probablement sont-ils dotés de caractéristiques qui les rendent moins vulnérables aux processus dégénératifs en cours dans la SLA. Le tableau est un peu l’inverse de celui de la myasthénie, qui affecte le plus souvent les muscles oculomoteurs et épargne les autres muscles.

En principe, les facultés mentales des patients souffrant d’une SLA demeurent intactes ou sont à peine érodées, mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, le mode d’entrée dans la maladie est cognitif ou des troubles de cette nature peuvent se manifester au fil de son évolution. Il peut notamment s’agir de troubles langagiers ou comportementaux, mais aussi attentionnels ou touchant les fonctions exécutives, ensemble de processus cognitifs de haut niveau, essentiellement sous-tendus par le cortex frontal, qui nous permettent de nous adapter à notre environnement lorsque les routines d’action ne peuvent suffire. Il existe en outre des cas où des patients souffrant d’une SLA développent une démence fronto-temporale ; l’inverse est vrai également. «Chez les patients concernés, il y a manifestement une relation sur le plan moléculaire entre les deux pathologies» , souligne Gaëtan Garraux. On observe aussi des variantes d’aphasie. Le spectre de la maladie est manifestement plus étendu qu’on ne le pensait et la topographie des lésions dégénératives, plus large.

Une ou plusieurs maladies?
Peu importe la forme initiale de la maladie, la faiblesse et l’atrophie musculaires se propagent à l’ensemble des muscles volontaires du corps. Le pronostic vital des patients est engagé dès le moment où les muscles du diaphragme et de la paroi thoracique perdent leur motricité. Les malades se voient alors proposer une assistance respiratoire non invasive. Dans à peu près 90% des cas, ils décèdent toutefois d’une insuffisance respiratoire dans un délai de deux à cinq ans après l’apparition des premiers symptômes. Malgré tout, quelque 10% des patients survivent plus de cinq ans, voire parfois une dizaine d’années.

L’étiologie de la SLA demeure coiffée d’un halo d’incertitude. Dans 5 à 10% des cas, l’affection est héréditaire et de nature monogénique. On a d’abord découvert qu’une mutation au locus du gène codant pour l’enzyme superoxyde dismutase de type 1 (SOD1) était responsable de l’éclosion de cette forme héréditaire plus ou moins une fois sur cinq. La mise en évidence de cette mutation fut à la base de l’élaboration du premier modèle animal de SLA. Depuis, une vingtaine d’autres gènes ont été identifiés, parmi lesquels TARDBP, FUS/TLS mais surtout C9ORF72, dont la mutation est présente dans plus de 40% des formes familiales de l’affection.

Pour les cas sporadiques, le mystère reste entier, même si différentes hypothèses ont été émises. Il semble acquis que l’origine de la maladie, qui éclot alors souvent entre 50 et 70 ans, c’est-à-dire en moyenne moins précocement que les formes familiales, soit multifactorielle, à la croisée d’influences génétiques et environnementales. Selon le Dr Séverine Boillée, chercheuse à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Paris), les cas sporadiques pourraient être liés à une mutation aléatoire (non transmise) d’un gène causal ou d’un ou plusieurs gènes de susceptibilité conférant une certaine vulnérabilité à des facteurs environnementaux. «On reste néanmoins sur des hypothèses car dans la SLA sporadique, on n’a pu déterminer à l’heure actuelle un facteur causal explicatif, souligne le Pr Garraux. Vu la diversité phénotypique de la maladie, il se pourrait qu’il y ait plusieurs sous-types de SLA et potentiellement plusieurs facteurs déclencheurs.» Séverine Boillée abonde dans le même sens dans un article publié sous l’égide de l’Inserm: «Depuis quelques années, on commence à considérer la SLA comme un syndrome, et non plus comme une maladie: l’âge de survenue des premiers symptômes, la présentation bulbaire ou spinale initiale, la rapidité d’évolution ou encore les pathologies associées peuvent en effet laisser penser que différentes maladies du motoneurone seraient regroupées sous le nom générique de SLA. Cette hétérogénéité pourrait expliquer l’échec de nombreux essais cliniques conduits autour de nouveaux médicaments.»

Que sait-on plus précisément de l’étiologie de la SLA? Et que peut signifier la présence de la protéine TDP-43 dans la plupart des formes phénotypiques de l’affection? Qu’en est-il par ailleurs de la prise en charge des patients et des voies de recherche? C’est ce dont nous parlerons dans notre prochain numéro.

Philippe Lambert

 

Source : Le Journal du médecin

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