Comment savons-nous si un médicament fonctionne réellement?
19-09-2017
Le terme « efficace » n'a pas de définition précise - et cela pourrait poser un problème
Matthew Nolan
Imaginez-vous un scénario hypothétique: un nouveau médicament est administré à 100 personnes souffrant d'une maladie. Quatre-vingt-dix-neuf de ces personnes ne s'améliorent pas, mais une personne est totalement guérie. Le traitement est-il efficace? Qu'en soit-il si, disons, 10 pour cent des patients remarquent un bénéfice de 20 pourcent? Bien qu’hypothétiques, ce genre de questions sont tous les jours des défis pour les chercheurs, rendues encore plus complexes, car l'expérience du patient est souvent difficile à décrire en termes binaires. La réponse est quelque peu dépendante de la personne interrogée - les réponses des scientifiques qui mènent l'expérience et du patient guéri pourraient être nettement différentes.
Cette subjectivité a des implications réelles, comme démontré par le cas tragique récent de Charlie Gard. Maintenant âgé de dix mois, Charlie est né avec le syndrome d'appauvrissement mitochondrial, un état génétique rare qui signifie qu'il est incapable d'entendre et de voir ou même de respirer sans appareil inhalateur. Ses parents se sont battus à la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour transférer Charlie aux États-Unis pour un traitement expérimental et non démontré. Ses médecins au Royaume-Uni ont cependant décidé qu’il serait peu probable d'améliorer son état et ont recommandé d’éteindre son équipement de survie. Dans ce cas, la définition de ce qui est efficace a été conduite - à juste titre ou pas - par l'émotion humaine.
Dans la recherche scientifique, les chercheurs utilisent une combinaison de design expérimental approprié et de statistique appliquée pour garantir l'objectivité dans la mesure du possible. Des études à double aveugle et contrôlées par placebo nous permettent de comparer les effets d'un certain traitement avec une substance connue d’être inerte par rapport à la pharmacologie; les valeurs « p » indiquent la probabilité que les résultats ne soient pas produits par hasard et qu'ils soient « significatifs ». Des études bien conçues apportent le « pouvoir » nécessaire pour produire ces affirmations en impliquant un nombre suffisant de participants, de cas et d'expériences. Ces mécanismes sont implémentés afin de s'assurer que les résultats soient fiables, robustes et finalement mènent aux produits efficaces pour le public concerné.
Plusieurs organismes de réglementation sont ensuite responsables de convertir les résultats de cette recherche en directives cliniques, et décident essentiellement si un traitement peut être proposé effectivement aux patients. Au Royaume-Uni, ceci est la responsabilité du National Institute for Health and Care Excellence (NICE), aux Etats-Unis du Food and Drug Administration (FDA). Mais, même ces instituts sont parfois influencés par la subjectivité. En 2006, NICE a approuvé l'utilisation du médicament contre le cancer du sein Herceptin pour le traitement en phase précoce, suite à la pression politique et à la contestation judiciaire par une femme britannique, Ann-Marie Rogers. Autrefois l’Herceptin n'a été approuvé que pour le traitement des cancers du sein avancés, avec peu de preuves soutenant son utilisation en phase précoce. Des facteurs économiques sont sans doute une question évidente: les organismes de réglementation décident parfois que les traitements en valent la peine lorsque leur prix baisse.
Le cas ci-dessus a été salué comme un exemple du « pouvoir du patient ». Mais en fait, il s'agit d'un cas où les sentiments trompaient les preuves. Les lois américaines du « droit à l'essai », permettent d’octroyer aux patients incurables le droit de prendre des médicaments expérimentaux qui n’ont passés que les essais cliniques de phase I. Mais il y a une raison pour laquelle les tests cliniques sont si rigoureux et étendus: notamment pour protéger le public contre les effets éventuellement néfastes de nombreux médicaments qui n’ont pas tenu jusqu'à la phase II.
Malheureusement, malgré tous les mécanismes de protection et de réglementation, certains traitements ont des conséquences désastreuses lorsqu'ils sont introduits sur le marché. Les effets secondaires désastreux de médicaments tels que la thalidomide contribuent à une méfiance publique envers les grandes entreprises pharmaceutiques, un sentiment qui est ensuite exploité par des entités sans scrupules pour conduire un récit de « nous contre eux », qui peut à tour de rôle être utilisé pour promouvoir leur propre traitement moins rigoureusement testé.
Ces entités plus douteuses et leurs « traitements » s'épanouissent souvent dans les sphères floues entre ce qui est efficace, bénéfique et inoffensif. Malgré par exemple toutes les preuves objectives disponibles que l'homéopathie n'est pas plus efficace qu'un placebo, des personnes qui croient en avoir bénéficié continuent à vanter son utilisation. Le marché de la médecine alternative est évalué à 34 milliards de dollars. Ironiquement, « Big Pharma » a donné naissance à « Big Alterna » - deux côtés de la même médaille, une pièce sans aucune signifiance.
Il y a, bien sûr, des traitements produits via les canaux les plus rigoureux qui ne sont pas vraiment efficaces non plus. Beaucoup de médicaments contre la toux en vente libre, par exemple, ne contiennent aucun ingrédient actif et les médecins ont conseillé pendant des années de ne pas y gaspiller d’argent. Beaucoup de patients réclameront, cependant, qu’ils ont été utiles. La clé est ici qu'il y a encore une autre distinction à faire entre les traitements que nous considérons « efficaces » versus simplement « bénéfiques ».
Ma propre recherche porte sur la maladie neurodégénérative progressive, la Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA). Des traitements visant à la modification des options biologiques de la SLA sont malheureusement limitées. Il est compréhensible que de nombreux patients se tournent vers des traitements non prouvés dans leur quête d'espoir et une simple recherche Google révèle des centaines d'entreprises faisant des revendications de grandeur variable. À leur meilleur, ces traitements offrent un soulagement ou un réconfort aux patients, ce qui, selon eux, réalise leurs désirs. Au pire, ces entités exploitent cyniquement les personnes vulnérables en abusent de leur désespoir, souvent pour des sommes d'argent importantes. Malheureusement, les médecins ont beaucoup d'histoires invraisemblables de patients dupés par des promesses de résultats inaccessibles.
Finalement, en décidant de quel traitement choisir, la plupart d'entre nous font confiance à une combinaison de l'objectivité scientifique et de la subjectivité émotionnelle. Assurez-vous en tout cas que vos attentes sont alignées en conséquence.
Traduction : Ligue SLA : Walter
Source : Scientific American