Le concepteur d’un médicament ciblant l’ADN proche d’une percée potentielle

30-11-2017

Scientist Bethany Fitzsimmons

Ce qui a commencé il y a plus d’une décennie comme un pressentiment parmi un petit nombre de chercheurs de San Diego est devenu un réel espoir pour le traitement de maladies neurodégénératives actuellement incurables.

L’année prochaine, Ionis Pharmaceuticals de Carlsbad devrait publier les résultats des essais cliniques, pour les maladies de Huntington et la SLA, utilisant des médicaments ciblant l’ADN et permettant de mettre en sourdine les gènes mutants responsables de dysfonctionnements progressifs dans le système nerveux des patients.

Si les premiers résultats de l’étude montreraient une réduction des niveaux des protéines nocives susceptibles de causer ces maladies, des essais à plus grande échelle sont susceptibles de suivre, ouvrant ainsi une nouvelle voie pour lutter contre ces maladies incurables, restés intraitables par la médecine dans toute l’histoire de l’humanité.

Alors que des résultats positifs sont encore loin d’être certains, Ionis a déjà une preuve sérieuse de ce concept avec Spinraza, un médicament approuvé l’an dernier qui utilise avec succès une approche semblable, mais non identique, pour traiter une maladie neurologique qui tue un millier d’enfants avant qu’ils n’atteignent leur deuxième anniversaire.

L’important ici est que Ionis a été en mesure d’obtenir des succès en travaillant sur la face cachée de la barrière hémato - encéphalique, un bouclier de protection qui filtre automatiquement la plupart des médicaments injectés dans le sang, rendant des cibles dans le cerveau et la colonne vertébrale extrêmement difficiles à atteindre.

Les premiers résultats des premières phases sont prévus en janvier. S’ils montreraient que ces médicaments ciblant l’ADN — officiellement appelés « antisens » — peuvent réduire les protéines nocives dans les cellules nerveuses, ce serait très important, surtout parce que Spinraza a déjà fait ses preuves, les chimistes d’Ionis ayant trouvé des moyens de garder ces médicaments suffisamment longtemps dans les systèmes des patients pour créer des traitements viables à long terme.

C’est un moment marquant, compte tenu du fait qu’il y a juste dix ans, personne ne pensait que cette approche pourrait fonctionner.

Enfin, presque personne.

Le Dr Richard Smith, neurologue praticien et directeur du Centre pour études neurologiques à La Jolla, a expliqué que la difficulté, raison de la plupart des scepticismes de ces pairs, a toujours été la délivrance des médicaments. La barrière hémato - encéphalique requérant l’injection directe de ces médicaments dans le liquide céphalo-rachidien, la plupart estimaient qu’une telle procédure se solderait par une dilution de ces médicaments les rendant inopérants.

Le Dr Smith explique : « Tout le monde pensait que, même si vous injectez des produits directement dans le liquide céphalorachidien, les cellules nerveuses ne les absorberaient pas ».

 

Richard SmithDr. Richard Smith (Courtesy of the Center for Neurologic Study)

Le Dr Smith, qui a fait un travail de pionnier dans l’utilisation de l’interféron pour traiter les maladies neurologiques et qui a passé une grande partie de sa carrière à traiter des patients SLA, a déclaré qu’il avait l’intuition que ces médicaments, ces petits morceaux d’ADN, pourraient surprendre tout le monde.

Il contacta un neurobiologiste de haut niveau, le Dr Don Cleveland de l’UC San Diego, un chercheur connu pour son travail fondamental de cartographie des mécanismes de croissance des neurones et de production des protéines. Le Dr Smith se rappelle cette première rencontre avec le Dr Cleveland comme un tour sur des montagnes russes.

Le Dr Smith raconte : « Je pense qu’il m’a dit, presque textuellement : c’est l’idée la plus saugrenue que j’aie jamais entendue ».

Puis il a fait une pause, et le Dr Smith a pensé qu’il serait accusé de faire perdre du temps au Dr Cleveland.

 « Puis il a dit, avec le plus grand enthousiasme, allons-y ! ».

Ils contactèrent Frank Bennett, maintenant vice-président de la recherche chez Ionis et lancèrent l’idée. Titulaire d’un doctorat en pharmacologie, Bennett connaissait les défis impliqués dans l’introduction de petits morceaux d’ADN dans les cellules nerveuses et était sceptique, mais néanmoins ouvert aux idées du Dr Cleveland et du Dr Smith, même si Ionis, anciennement Isis Pharmaceuticals, n’avait pas encore été associé aux essais d’utilisation de la technologie sur les maladies neurologiques.

 

Frank BennettFrank Bennett, senior vice president of research at Ionis Pharmeceuticals. (Courtesy of Ionis Pharmeceuticals)

La clé, selon Bennett, était que les Dr Smith et Cleveland avaient identifié un type spécifique d’acide ribonucléique ‘messager’ ou m-ARN qui pouvait, théoriquement, être bloqué par un médicament ciblant l’ADN, encore à inventer.

Bennett explique : « J’ai écouté l’idée et j’ai dit: c’est intéressant et attrayant, parce que nous avons enfin trouvé une cible».

Ionis a décidé de faire un lot de médicaments candidats pour des recherches et quand ce premier lot n’a pas fonctionné, il a accepté de faire une deuxième tentative avec 80 candidats. Le Dr Smith décrit cette progression avec de l’émerveillement dans sa voix. Selon lui : « Tant d’engagements sur un tel long terme, c‘était du jamais vu, surtout parce que la plupart des travaux de Ionis à l’époque concernaient le cancer ».

Le Dr Smith explique : « Je veux dire : c’est une société ciblant le cancer, donc, pour eux, concevoir 80 molécules différentes pour nos essais, puis en concevoir 80 autres ensuite, c’était juste remarquable ».

La clé du succès chez les animaux qui a permis la poursuite des travaux chez des patients humains a été la possibilité de prouver que ces médicaments ont bien été intégrés par les cellules nerveuses et que la magie chimique effectuée dans les énormes laboratoires de Ionis a rendu le médicament stable et assez résistant pour durer assez longtemps pour se lier avec des brins de m-ARN.

Selon le Dr Cleveland, l’efficacité a surpris tout le monde.

Il explique : « Nous n’avons pas deux heures d’efficacité. Nous n’avons pas deux ou trois jours d’efficacité. Nous n’avons pas deux ou trois semaines d’efficacité. Nous obtenons trois à quatre mois d’efficacité. Le médicament dure vraiment très longtemps».

Le Dr Cleveland ajoute : « Ce serait plutôt comme aller chez le dentiste. Vous ne désirez pas nécessairement y aller, mais vous le faites».

Cette approche a récemment produit des résultats surprenants sur l’atrophie musculaire spinale, la cible du Spinraza. L’absence d’une protéine clé provoque le blanchissement et la mort des motoneurones dans les moelles épinières des patients. Mais, en utilisant un oligonucléotide antisens spécialement conçu, les chercheurs ont été en mesure de corriger une erreur critique dans l’ARN messager, permettant de produire une protéine de substitution très semblable.

Approuvé en décembre par la U.S. Food and Drug Administration après sa mise au point par Ionis et une équipe du laboratoire de Cold Spring Harbor à New York, le médicament a déjà été administré à des centaines d’enfants et d’adultes et, dans bien des cas, a radicalement inversé les lésions nerveuses.

Selon le Dr Cleveland : « Ils ont maintenant des enfants qui se promènent, alors qu’ils ne pouvaient plus bouger. Pour ces familles, c’est un miracle, ».

Ces résultats, couplés aux tests dont on est sur le point d’afficher les résultats, a provoqué un peu d’excitation à la récente réunion annuelle de l’American Neurological Association.

 

Neurobiologist, Don ClevelandNeurobiologist Don Cleveland addresses the American Neurological Association at its 2017 meeting in San Diego. (Courtesy of the American Neurological Association.)

Rassembler dans la grande salle de réunion de l’hôtel Sheraton à San Diego, des sommités mondiales ont écouté le Dr Cleveland a expliqué les processus en cours.

Il a déclaré : « C’est un grand changement, par rapport à il y a quelques années. Je n’aurais même pas été invité à prendre la parole à une réunion comme celle-ci, parce que personne ne pensait que cela pourrait fonctionner. Nous sommes vraiment passés du scepticisme total et de la critique pure et simple au sentiment que ces médicaments sont évidents et inévitables ».

Après avoir entendu le discours du Dr Cleveland, le Dr Craig Blackstone, chercheur principal de la section de biologie cellulaire au National Institute of Neurological Disorders and Stroke, a déclaré que les Dr Cleveland et Smith sont devenus crédibles grâce à leur ténacité.

Selon le Dr Blackstone : « Ce sont eux qui ont vraiment fait bouger les choses en convaincant Ionis de faire cela. Ils ont persuadé beaucoup de gens qu’il y avait une réelle possibilité que cette approche serait efficace ».

Des résultats similaires sont-ils possibles pour la maladie de Huntington et la SLA étant donné qu’ils utilisent la même approche qui cible l’ADN d’une manière différente ?

À l’heure actuelle, tous les résultats sont encore inconnus et les chercheurs ne savent pas ce qui va arriver.

Il est important de noter que, alors que tous les quelque 30.000 Américains vivant avec la maladie de Huntington pourraient être susceptibles d’être soignés, on ne sait pas encore ce qui se traduira par une réduction du taux de protéines nocives pour ces patients. Et, pour la SLA, ces médicaments ne peuvent impacter uniquement que la forme « familiale » de la maladie, dont on estime qu’elle touche seulement 5 à 10 pour cent des cas. La grande majorité des SLA sont ‘sporadiques’ et leur cause n’est pas attribuée à des mutations génétiques spécifiques.

Selon le Dr Cleveland : « Pourtant, parvenir à insérer un produit détectable dans les protéines nocives causant la SLA ou la chorée de Huntington, même s’il ne provoque pas une inversion significative des symptômes, sera déjà suffisant pour justifier des essais plus importants et plus longs, susceptibles de fournir des résultats plus significatifs ».

Il ajoute : « Si nous parvenons à couper le mauvais gène, il est très probable que cela aura un grand effet sur la maladie, ce serait merveilleux. »

 

Traduction : Fabien

Source : The San Diego Union-Tribune

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