Incidence, prévalence et concentration géographique de la sclérose latérale amyotrophique aux Pays-Bas

28-03-2021

Adriaan D. de Jongh,  Ruben P.A. van Eijk, Susan M. Peters, Michael A. van Es, Anja M.C. Horemans, Anneke J. van der Kooi, Nicol C. Voermans, Roel C.H. Vermeulen, Jan H. Veldink, Leonard H. van den Berg

(version abrégée)

Résumé

Objectif
Afin d'évaluer les tendances temporelles de l'incidence, de la prévalence et de la mortalité de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d'examiner la concentration géographique des cas de SLA aux Pays-Bas entre 1998 et 2017, nous avons analysé les données provenant du Registre de la population des Pays-Bas (BRP), du Centre SLA des Pays-Bas et de l'Association des maladies neuromusculaires des Pays-Bas (VSN).

Méthodes
Dans cette étude de cohorte prospective, la régression de Poisson a été appliquée pour évaluer les tendances temporelles du risque de SLA. Nous avons calculé les cas observés et attendus, normalisés selon l'âge et le sexe, pour 1694 régions. Afin d'examiner le risque géographique de SLA, nous nous sommes basés sur une cartographie bayésienne du risque lissée.

Résultats
Nous avons identifié 7 992 cas de SLA, ce qui correspond à une incidence de 2,64 (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 2,62-2,67) pour 100 000 personnes-années et à une prévalence de 9,5 (IC à 95 % : 9,1-10,0) pour 100 000 personnes. Les taux de prévalence et de mortalité, normalisés selon l'âge, les plus importants ont été observés à un âge plus tardif chez les hommes que chez les femmes (p < 0,001). Les taux de mortalité non ajustés ont augmenté de 53,2 %, passant de 2,57 pour 100 000 personnes-années en 1998 à 3,86 pour 100 000 personnes-années en 2017. Après correction selon l'âge et le sexe, il subsistait une augmentation du taux de mortalité liée à la SLA de 14,1 % (IC à 95 % : 5,7 %-23,2 % ; p < 0,001). Le risque relatif de SLA variait de 0,78 à 1,43 selon les régions géographiques. De multiples régions urbaines et rurales à haut risque ont été identifiées.

Conclusions
Nous avons constaté une augmentation nationale importante de la mortalité liée à la SLA entre 1998 et 2017, qui ne s'explique qu'en partie par le vieillissement de la population néerlandaise, et une variabilité géographique du risque de SLA, indiquant ainsi le rôle de facteurs de risque environnementaux ou démographiques.

Discussion

Au cours de cette étude, nous avons utilisé de multiples sources de données indépendantes pour obtenir des estimations complètes de la surveillance sanitaire de la SLA aux Pays-Bas entre 1998 et 2017. Il en résulte une incidence moyenne estimée à 2,64 par 100 000 personnes-années, une prévalence de 9,5 par 100 000 personnes et un risque de SLA au cours de la vie de 1 sur 323. Le délai moyen de diagnostic n'a pratiquement pas changé, alors que la durée médiane de survie s'est améliorée de 3 mois entre 2006 et 2017, probablement en raison de l'amélioration des soins multidisciplinaires. Cette augmentation observée de la durée médiane de survie pourrait signifier que l'augmentation de l'incidence de la SLA serait plus importante que l'augmentation des taux de mortalité de la SLA observée depuis 1998. Après correction en fonction de l'âge et du sexe, les taux de mortalité due à la SLA ont augmenté de 14,1 % au cours des deux dernières décennies, tant chez les hommes que chez les femmes. L'augmentation de 53,2 % des taux de mortalité non ajustés liés à la SLA pourrait signifier un doublement de la prévalence de la SLA d'ici 2050, ce qui implique des conséquences importantes pour l’organisation des futurs services de soins de santé. Nos résultats suggèrent que des facteurs de risque génétiques ou environnementaux potentiellement évitables sont à l'origine du risque de SLA, et qu'il est impératif de les identifier le plus rapidement possible. Cela pourrait être facilité par des études géographiques détaillées du risque de SLA.

Nous avons constaté que l'âge influence différemment le risque de SLA et d'Alzheimer. En effet, le risque de SLA diminue dans les tranches d'âge plus élevées, contrairement au risque de maladie d'Alzheimer. Cela suggère qu'il y a une période où la vulnérabilité est maximale et que la SLA n'est pas seulement due au vieillissement. La courte durée de survie des cas de SLA par rapport aux cas d'Alzheimer peut également jouer un rôle. La SLA pourrait être limitée à une petite sous-population vulnérable, dont la majorité décède entre 70 et 80 ans à la suite de la SLA ou d'autres causes non liées. Certaines données indiquent que la disparition des risques concurrents et la longévité de cette sous-population vulnérable pourraient également être à l'origine de l'augmentation des taux de mortalité liés à la SLA. En effet, nous avons constaté que le risque de décès suite à d'autres causes que la SLA a diminué au cours de la période d'étude. Cependant, les résultats que nous avons observés, à savoir une sous-population vulnérable réduite et des taux de mortalité liés à la SLA plus élevés dans les tranches d'âge plus jeunes, vont à l'encontre de cette hypothèse. Nous ne pouvons néanmoins pas exclure que la longévité d'une sous-population vulnérable puisse avoir contribué à l'augmentation des taux de mortalité liés à la SLA.

Le vieillissement de la population générale constitue un facteur important de l'augmentation de l'incidence des maladies neurodégénératives. Selon une étude antérieure, il n'y a pas eu de changement statistiquement significatif dans l'incidence de la SLA au Minnesota, aux États-Unis, entre 1925 et 1998. En revanche, plusieurs études ont révélé que l'incidence de la SLA a augmenté au cours des deux dernières décennies. Par exemple, dans une étude épidémiologique menée dans le nord de l'Italie, l'incidence de la SLA a augmenté de 14 % entre 1995 et 2014, principalement chez les femmes. Cette augmentation plus importante de l'incidence de la SLA au cours des dernières années peut notamment être attribuée au fait que les personnes nées pendant le baby-boom qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, ont atteint l'âge où l'incidence est la plus élevée entre 2005 et 2017. La plupart des études étaient uniquement basées sur les données des registres, en recourant à la méthodologie de capture-recapture afin de corriger la sous-estimation. Les cas peuvent ainsi être sous-estimés ou surestimés si les sources de données ne sont pas indépendantes. Par conséquent, nous avons appliqué à la fois la méthode de capture-recapture et des analyses de sensibilité basées sur des simulations à partir de 3 sources de données indépendantes au cours de notre étude, y compris des données non sélectionnées provenant d'une base de données sanitaire nationale obligatoire. En termes absolus, le nombre de cas par an est passé de 298 en 1998 à 466 en 2017. Si cette augmentation se poursuit, le risque de SLA au cours de la vie passerait à 1 sur 205 d'ici 2050. Cette augmentation observée n'est pas uniquement due au vieillissement de la population générale, qui ne pourrait expliquer que ≈75 % de l'augmentation. La sensibilisation accrue et l'orientation plus rapide des patients soupçonnés d'être atteints de SLA depuis le lancement du Centre SLA des Pays-Bas en 2003 peuvent également y contribuer. Toutefois, plusieurs facteurs de risque environnementaux liés à la SLA pourraient être impliqués, comme l'exposition à la poussière organique, aux pesticides agricoles, à la pollution atmosphérique et à d'autres risques professionnels.

Afin de développer des hypothèses relatives aux facteurs de risque qui influencent actuellement le risque de SLA, nous avons cartographié le risque géographique de SLA entre 1998 et 2017 dans le but d'identifier les régions à haut risque. Il est particulièrement bénéfique d'utiliser des données nationales, car l'évaluation du risque géographique dans une région limitée est une méthode connue pour exagérer la probabilité d'identifier les régions à haut risque. Le risque de SLA présentait une variation spatiale considérable, ce qui indique qu'il pourrait être utile d'associer le risque spatial aux caractéristiques de cette région particulière (c'est-à-dire d'identifier les facteurs qui expliquent la variation spatiale du risque). Par exemple, en quantifiant les facteurs de risque tels que le mode de vie, le niveau d'activité physique et les expositions environnementales dans des régions géographiques clairement définies, il serait possible d'identifier efficacement les facteurs de risque. Nous avons illustré les possibilités d'utilisation de cette méthode en associant le risque de SLA à la densité de population, qui peut servir d'indicateur pour d'autres facteurs de risque. Bien que nous n'ayons pas trouvé de corrélation directe entre la densité de population et le risque de SLA, la simplicité de cette analyse pourrait stimuler la recherche étiologique sur la SLA. Par exemple, la pollution atmosphérique pourrait être plus sévère en ville. En combinant les estimations du risque spatial avec les niveaux d'exposition, tant au niveau individuel que géographique, il est possible de découvrir plus facilement des associations potentielles. Une approche similaire peut être appliquée pour l'exposition aux pesticides agricoles, plus répandus dans les régions rurales. Pour illustrer ce phénomène, on mentionne le risque accru de la maladie de Parkinson aux Pays-Bas, associé à la vie à proximité de champs agricoles où des pesticides sont utilisés. En outre, les facteurs de risque génétiques peuvent également être à l'origine de la variabilité géographique du risque de SLA. Des études antérieures ont montré que les variantes génétiques rares semblent être des facteurs importants du risque de SLA, et que la variation génétique peut être localisée géographiquement, ce qui signifie que les mouvements migratoires sont relativement faibles aux Pays-Bas. Par conséquent, l'incidence locale de la SLA peut augmenter en raison d'un effet fondateur génétique lorsque de nouvelles variations génétiques surgissent. Nous supposons que les facteurs de risque environnementaux, uniques à chaque région, et le mélange génétique local peuvent ainsi expliquer la variation géographique du risque de SLA. La quantification d'un grand nombre de facteurs de risque, tant au niveau individuel que géographique, reste primordiale.

Pour des raisons de respect de la vie privée, notre étude a été limitée dans la mesure où nous n'avons pas pu vérifier le diagnostic clinique dans la base de données BRP pour les cas individuels. Par conséquent, nous ne pouvons pas exclure une éventuelle erreur de classification dans la base de données BRP. Néanmoins, nous avons estimé que la base de données BRP était d'un niveau élevé pour plusieurs raisons. L'enregistrement étant obligatoire, la base de données BRP inclut tous les habitants des Pays-Bas. De plus, il est probable que les patients atteints de SLA consulteront un neurologue au moins une fois, car le système de santé public des Pays-Bas veille à ce qu'il n'y ait pas d'obstacles financiers ou physiques à l'obtention de soins de santé. Par conséquent, il est probable que le diagnostic de la SLA soit communiqué au médecin généraliste ou au médecin coordinateur du patient. Aux Pays-Bas, la loi exige qu'un médecin (généralement le médecin généraliste ou le médecin coordinateur) énumère toutes les causes possibles de décès sur le certificat de décès. En outre, nous avons noté que l'âge au moment du décès et le rapport hommes/femmes étaient stables, ce qui suggère que la constatation des cas n'a pas changé pendant la période d'étude. En outre, les estimations d'incidence et de prévalence que nous avons obtenues sont cohérentes avec celles d'autres pays d'Europe du Nord disposant également de bases de données sanitaires nationales obligatoires. Au Danemark, en Norvège et en Suède, les estimations d'incidence et de prévalence variaient respectivement de 2,47 à 3,54 pour 100 000 personnes-années et de 8,0 à 8,7 pour 100 000 personnes. Enfin, nous avons constaté des estimations de prévalence similaires en utilisant la méthodologie de capture-recapture et une approche basée sur la simulation utilisant des données provenant de sources indépendantes, confirmant ainsi que les sources de données utilisées permettent une constatation précise des cas.

Grâce à la base de données nationale BRP, nous avons pu déterminer que 72,0 % de tous les patients atteints de SLA aux Pays-Bas ont été identifiés par le registre national de la SLA. Ce taux de couverture est comparable ou supérieur à celui d'autres vastes registres basés sur la population. L'âge moyen plus élevé des patients et la proportion plus importante de patients de sexe féminin dans la base de données BRP impliquent que les patients féminins plus âgés pourraient être sous-représentés dans le registre de la SLA basé sur la population des Pays-Bas. Cette sélection involontaire de patients masculins plus jeunes avec, en moyenne, une survie plus longue a également été observée lorsque les participants à l'étude ont été comparés à la population éligible de la SLA. Il est essentiel de tenir compte de cette sélection involontaire de patients, car elle peut conduire à des tailles d'effet déformées dans les études de population lorsqu'il s'agit d'étudier les facteurs de risque étiologiques ou génétiques. Pour résoudre le problème de la sélection involontaire dans les études de population, il est nécessaire de conduire des études futures sur les causes de la non-participation aux études d'observation afin d'identifier ces facteurs de patients encore inconnus.

Nous avons constaté une augmentation nationale de 53,2 % des taux de mortalité liés à la SLA entre 1998 et 2017, à la fois chez les hommes et les femmes. Cette augmentation importante au cours des deux dernières décennies souligne les effets que la prise en charge des patients atteints de SLA aura sur les services de santé à l'avenir. On observe une variation géographique du risque de SLA, qui pourrait être liée à un mélange génétique local ou à des facteurs de risque environnementaux complexes. L'association du risque spatial avec les facteurs de risque possibles de la SLA pourrait favoriser la recherche étiologique sur la SLA.

Texte intégral

 

Traduction : Emilie Poissonnier

Source : Neurology

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