Ce que l’on sait à ce jour sur les liens entre pesticides et maladies

10-08-2018

Eclairage Laurence Dardenne

Etablir, avec certitude, un lien de cause à effet entre les produits phytosanitaires et certaines maladies n’est clairement pas chose aisée. Pour tenter de dresser, sur base des connaissances actuelles, un état des lieux au plus juste des pathologies pour lesquelles cette causalité est avérée, suspectée ou écartée, nous avons fait appel à diverses sources, dont le Pr. Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain et directeur de recherches FNRS.

  1. Un nombre finalement très limité de substances où le lien est avéré

Quoi qu’on en pense, alors que les pesticides sont utilisés depuis plus d’un demi­siècle, “hormis les cas d’intoxication aiguë, il n’existe finalement qu’un nombre très limité de pathologies pour lesquelles la relation de causalité est bien avérée et ne fait plus débat”, nous affirme ce spécialiste. C’est ainsi le cas de l’insecticide lindane, seul pesticide à être reconnu comme cancérogène avéré pour l’homme (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).

“Même le DDT, qui a été massivement utilisé pendant des décennies est resté dans le groupe des cancérogènes probables (groupe 2A) à côté de plusieurs autres insecticides (malathion, diazenon…)”, poursuit­il. Quant au fameux Roundup, dont le principe actif est le glyphosate, rappelons qu’après moult rebondissements, les principales agences de sécurité sanitaire dans le monde l’ont déclaré cancérogène improbable pour l’homme contredisant toutefois le Circ, qui l’a pour sa part classé dans le groupe des cancérogènes probables.

  1. Les pathologies pour lesquelles il y a de lourds soupçons, mais pas (encore ?) de certitude

Cela étant, si le lien de cause à effet n’est pas encore écrit noir sur blanc, de lourds soupçons pèsent néanmoins sur ces substances pour une série de pathologies. « Au regard des innombrables études rapportant des excès de risque, il me paraît raisonnable d’admettre la causalité des associations entre l’exposition professionnelle des agriculteurs aux pesticides et la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques (communément appelés cancers du sang), en particulier le myélome multiple et le lymphome non hodgkinien, estime le Pr. Alfred Bernard. Chez l’enfant,  en  cas d’exposition  professionnelle  aux pesticides pendant la grossesse, les associations observées avec les risques de leucémie, de tumeurs cérébrales et de malformations congénitales revêtent très probablement aussi un caractère causal. »

« De notre côté, confie pour sa part le Dr Gaëtan Garraux, neurologue, chef de clinique au CHU de Liège, en ce qui concerne la maladie de Parkinson, on se garde généralement d’exprimer devant le patient qu’il y a un lien de causalité entre l’exposition éventuelle à des pesticides et la disparition progressive de certains neurones dans le cerveau car ce lien de cause à effet n’est pas formellement établi. Cela dit, certains de mes patients, atteints de cette pathologie, étaient effective­ ment agriculteurs ou maraîchers. Mais il y en a de très nombreux qui ont développé la maladie sans avoir pour autant été exposés aux pesticides. »

Et si le patient exposé émet des doutes ou pose la question d’un éventuel lien de causalité ? « Mon souci est de ne pas lui mettre en tête que la maladie est causée par une exposition excessive à des substances toxiques dans la mesure où je n’ai aucune certitude de ce point de vue­là. Il faut aussi bien sûr tenir compte de facteurs génétiques dans la mesure où certaines personnes sont probablement plus susceptibles à l’exposition à des substances neurotoxiques que d’autres. Et donc, il est très difficile d’établir un lien de causalité parce qu’il faut retracer un historique avec la durée d’exposition et le type de substances utilisées. Or les patients peuvent uniquement faire appel à leur mémoire qui remonte parfois plusieurs années en arrière et qui devient de moins en moins précise. Je dis que c’est possible mais qu’il restera toujours un doute. »

  1. Deux fois plus de cas chez les malades atteints de Parkinson

On peut néanmoins affirmer qu’en cas de manipulations de pesticides, le risque de développer une maladie de Parkinson est quasiment doublé. « En effet, ce sont des études épidémiologiques qui l’ont démontré, relève le Dr Gaëtan Garraux. Mais il faut dire que le risque de développer une maladie de Parkinson est très faible au départ. Dans la population âgée de 60 ans et plus, il est à peine de 1 %. Et l’on passe donc à 2 % chez les personnes qui ont manipulé d’importantes quantités de produits phytosanitaires. Ces études nous indiquent également que des personnes qui ont manipulé ces pro­ duits ne développeront jamais la maladie. Et, à ce moment­là, il faut tenir compte de la vulnérabilité individuelle et des facteurs génétiques propres à chaque individu. »

« Il faut rester prudent sur les mots, poursuit le neurologue. On peut dire qu’il existe une augmentation du risque. Mais de là à affirmer qu’il y a une relation de causalité directe, non. Les études épidémiologiques actuelles ne permettent pas de le démontrer. » Les relations de ces produits avec la santé humaine sont extrêmement complexes, conclut­il : « Il faut aussi tenir compte de l’association entre ces substances, car il y en a plusieurs. Et donc, les relations deviennent finalement très difficiles à quantifier. C’est une des difficultés auxquelles le monde scientifique doit faire face pour essayer d’avancer et mieux comprendre ces associations. » A la fin de cette année, l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) devrait d’ailleurs finaliser deux évaluations pilotes sur les risques pour les consommateurs associés aux résidus de pesticides multiples sur ce que l’on mange. C’est ce que l’on appelle l’effet cocktail.

  1. Les pathologies suspectées, mais dans une moindre mesure

Si des études supplémentaires demeurent certes nécessaires pour établir un lien de causalité, « il existe néanmoins, chez les agriculteurs, une certaine suspicion que l’exposition chronique aux pesticides puisse entraîner des troubles cognitifs, une diminution de la qualité du sperme et favoriser le développement de la leucémie et de la maladie d’Alzheimer », complète le Pr  Alfred Bernard. Avant d’ajouter que la suspicion est moindre pour d’autres affections comme le cancer du testicule, la maladie de Hodgkin, des tumeurs cérébrales ou la sclérose latérale amyotrophique.

« Chez l’enfant, on suspecte un lien entre exposition résidentielle aux pesticides (usage domestique ou proximité de cultures), en particulier aux néonicotinoïdes et la survenue de mal­ formations congénitales (ex : anencéphalie) ou de troubles neuro­développementaux (autisme) », précise encore le toxicologue. Notons à ce propos que ces risques chez l’enfant associés à des expositions résidentielles ont été décrits aux Etats­Unis, notamment en Californie où la densité de cul­ tures fruitières est importante et où l’épandage aérien est une pratique courante.

  1. Là où le lien de causalité est écarté, du moins à ce jour

Pour ce qui concerne les pathologies où un lien de cause à effet est à ce jour encore écarté, les études en milieu agricole ne suggèrent aucun lien entre les pesticides et les cancers du système digestif (colon, foie, pancréas, estomac...), les maladies cardio­vasculaires, les affections allergiques ou les maladies respiratoires

La plupart du temps, s’il est suspecté, le lien de cause à effet n’est pas formellement établi

Quelles sont les personnes les plus vulnérables à l’exposition ?

On peut identifier trois groupes plus à risque de développer une maladie suite à l’exposition chronique et massive aux pesticides

Les agriculteurs et autres professions exposées. Le premier groupe est évidemment celui des agriculteurs et autres populations exposées professionnellement. « L’explication réside à la fois dans la longue durée d’exposition et l’absorption importante de pesticides par inhalation et très souvent aussi par la peau lorsque les utilisateurs ne se protègent pas efficace­ ment, avec des gants, un masque, une bonne hygiène…, précise le toxicologue Alfred Bernard. C’est pratiquement unique­ ment au sein de ces populations que les études épidémiologiques décrivent des associations avec diverses maladies chroniques. »

53% des agriculteurs très exposés. Dans son étude de référence de 2013, l’Inserm (France) indique que les méta-analyses montrent un excès de risque de survenue de la maladie de Hodgkin allant de 9 % à 25 % chez les professionnels exposés aux esticides comparés à la population générale. Chez les agriculteurs, cet excès de risque est de 53 %.

Les femmes enceintes. La deuxième catégorie est celle des femmes enceintes lors d’expositions professionnelles, mais aussi para­professionnelles (par exemple l’épouse d’un agriculteur) ou résidentielles (usage domestique ou résidence à proximité de cultures). « Le risque dans ce cas découle de la grande vulnérabilité du fœtus dont les organes sont en développement et du fait que la plupart des pesticides peuvent franchir la barrière placentaire », explique le scientifique.

Les jeunes enfants. Enfin, sachant que le développement du cerveau et des autres organes cibles des pesticides se poursuit pendant l’enfance, les jeunes enfants constituent un troisième groupe à risque, surtout en cas d’exposition résidentielle ou para­professionnelle (par exemple les enfants d’agriculteurs). L’exposition dans ce cas peut se faire par inhalation lors de la pulvérisation du pesticide, mais aussi par contact cutané ou ingestion de poussière si l’habitat est contaminé.

Et la population générale ? En dehors de ces cas, la population générale exposée aux pesticides via essentiellement la con­ sommation de fruits et légumes doit­elle s’inquiéter ? Pour le toxicologue, la réponse est non, elle ne constitue pas un groupe à risque. « D’innombrables études ont démontré que la consommation régulière de fruits et légumes est associée à une réduction très significative du risque de cancers ou de maladies cardiovasculaires. Cet effet protecteur était déjà démontré il y a plus de trente ans alors qu’à l’époque on utilisait des pesticides beaucoup plus nocifs et que les normes et contrôles étaient inexistants ou du moins beaucoup moins sévères qu’aujourd’hui. »

Seul possible bémol à ce stade, des travaux récents aux USA suggèrent que des résidus élevés de pesticides pour­ raient annihiler les effets bénéfiques des fruits et légumes sur la qualité du sperme et la fécondité. « La prudence est de mise car il pourrait s’agir d’associations secondaires, observe le Pr. Bernard. Une consommation régulière de fruits et légumes est en effet souvent associée à une réduction de comportements et d’habitudes alimentaires dont certaines, comme la consommation excessive de sodas, auraient un impact négatif sur la fécondité de l’homme ou de la femme. »

 

Traduction : Ligue SLA : Walter

Source : La Libre Belgique

Share