Des patients SLA frustrés concoctent leur propre médicament

20-04-2012

Certains patients SLA, frustrés par la lenteur des essais cliniques de médicaments ou incapables de se qualifier comme participant aux essais formels, tentent de brasser leur propre version d'un composé expérimental chez eux « à la maison » et de le tester sur eux-mêmes.

Ce déroulement a des implications importantes pour la santé et la recherche scientifique. Jusqu'à ce que des essais cliniques soient menés, personne ne sait avec certitude si un médicament soit sans danger ou soit efficace et les patients pourraient subir un préjudice autoinfligé, ou même accélérer l'évolution de leur maladie. Certains chercheurs s'inquiètent du fait que les patients qui signalent en ligne qu'un médicament « do-it-yourself » ne fonctionne pas pourraient décourager d’autres patients de participer à ou d’accomplir un essai formel.

Les patients qui expérimentent avec des médicaments « do-it-yourself » disent qu'il s'agit d'un risque calculé qui vaut la peine d'être pris, étant donné que l'espérance de vie moyenne n'est que de deux à cinq ans après le diagnostic et qu'en plus il n'existe aucun traitement efficace. De nombreux patients déclarent vouloir ralentir la progression de la maladie dans l'espoir qu’entre temps on développe un traitement efficace qui pourrait sauver leur vie.

« Nous n'avons tout simplement pas le temps d'attendre les résultats des [essais cliniques]. Nos espérances de vie sont beaucoup plus courtes que le processus d'approbation [Food and Drug Administration] », a déclaré Ben Harris, 45 ans, physicien médical à Bloomington, Indiana, qui a reçu un diagnostic de SLA en janvier 2011 et qui prend un médicament qu’il a fabriqué lui-même. Mr. Harris nous a répondu aux questions par courriel, car il avait déclaré que son élocution était difficile à comprendre en raison de la progression de sa maladie.

« Les patients ont le droit de faire ce qu'ils veulent avec leur santé et les médicaments qu'ils prennent, mais en fin de compte, nous voudrions que tous les patients bénéficient des médicaments et que le développement des médicaments suive un processus bien rigoureux », a déclaré Steven Perrin, PDG dirigeant du « ALS Therapy Development Institute » à Cambridge, Massasuchetts. Son département teste et développe des médicaments et héberge un groupe de discussion en ligne où de nombreux patients échangent des informations.

Il est de notoriété publique que les scientifiques utilisent parfois eux-mêmes comme cobayes au cours de leurs expériences. On sait que des patients atteints de cancer et d’autres personnes atteintes de maladies potentiellement mortelles s'auto-traitent en utilisant des mélanges de vitamines, de thés spéciaux et de médicaments non conformes. Mais les efforts des patients SLA pour composer une version « maison » d'un médicament encore au stade des essais cliniques ou en début de développement et non approuvé par la FDA constituent l'un des exemples les plus dramatiques de l'ampleur du phénomène du « do-it-yourself ».

Alimentés par le désespoir découlant d’une maladie mortelle, des patients SLA ont fréquenté l’Internet pour échanger des informations avec des personnes participant à l'essai du NP001, un composé fabriqué par Neuraltus Pharmaceuticals, une petite entreprise de biotechnologie située à Palo Alto, en Californie. Ils ont retrouvé des dossiers publics de cette entreprise, tels que des brevets, et ont lu des articles scientifiques publiés par des chercheurs et des médecins impliqués dans les tests. NP001 est conçu pour traiter l'inflammation du système nerveux central et pourrait, espérons-le, ralentir la progression de la maladie.

La société a publié en 2010 les résultats d'un essai clinique très précoce portant sur 32 patients SLA, conçu pour tester la sécurité du médicament par voie intraveineuse. Une étude de phase 2 visant à tester l'efficacité est en cours. Le directeur général de Neuraltus, Andrew Gengos, a déclaré dans un courriel qu'il ne pouvait laisser de commentaire avant la fin de l'essai de phase 2 et la publication des résultats. Les résultats préliminaires seront probablement disponibles d'ici la fin de l'année. Même si les résultats sont prometteurs, la société aurait encore besoin de mener un essai de phase 3 plus important avant de demander l'examen de la FDA pour l’approbation, un processus qui prendrait probablement plusieurs années de plus.

Eric Valor, un patient SLA qui a répondu aux questions par courriel, car il est tétraplégique et sous assistance respiratoire, a contribué à la réalisation d’une version « maison » de NP001 et a créé un site Web permettant d’en collecter des données. Environ 28 patients ont également partagé des données sur le site géré par « PatientsLikeMe », un forum de partage de données sur la santé basée à Cambridge, qui a contribué à l'analyse des résultats d'un essai clinique « maison » sur des médicaments à base de lithium.

Mr. Valor a déclaré qu'il savait d’avance qu'il ne serait pas admissible à l'essai officiel de NP001 en raison de son handicap. Certains essais nécessitent que les patients présentent des signes cliniques depuis 24 mois ou moins et n’ont pas besoin d'assistance respiratoire mécanique dans l'espoir que les signes d'efficacité d'un médicament seront plus faciles à déterminer chez des patients moins progressés.

Mr. Valor a d'abord lu un communiqué de presse sur le NP001. Il a retrouvé des documents publiés qui l'ont amené à croire que le composé principal était du chlorite de sodium, un produit chimique utilisé sous diverses formes dans les stations d'épuration d’eaux municipales. Un ami a trouvé en ligne les dépôts des brevets des scientifiques. Il a également consulté un ingénieur en traitement d’eau pour en savoir plus et a lu des rapports environnementaux pour mieux comprendre les niveaux de toxicité. Le produit chimique est facile à commander en ligne et est peu coûteux. Il estime avoir dépensé moins de 150 dollars au total.

Mélangé à l'eau distillée, le chlorite de sodium est administré par le tube d'alimentation de Mr. Valor trois jours par semaine, une semaine par mois. Il dit qu'il prévient les participants que le produit chimique n'est pas aussi efficace que le NP001 et qu'il « s'agit simplement de gagner du temps avant que le NP001 soit disponible pour tous ».

Jonathan D. Glass, professeur de neurologie et de pathologie au « Emory University School of Medicine » et directeur du « Emory ALS Center », est l'un des enquêteurs du site NP001. Il a dit craindre que « ces personnes ne se fassent du mal. Qui sait ce qu’elles fabriquent réellement dans leur cuisine ». Il dit que les patients doivent collaborer avec les médecins et les responsables de la réglementation pour trouver des moyens d'accélérer le processus de développement de médicaments. « Je sais qu'ils veulent vraiment que tout cela se produise plus rapidement, mais je ne pense pas qu’on puisse le faire sans les services médicaux », a-t-il déclaré.

Dans le cas de Mr. Harris, il s’était inscrit à l’essai de Phase 2 NP001. Bien qu'aucun patient ne sache s'il a reçu ou non le médicament ou un placebo, Mr. Harris a déclaré que sa capacité à avaler s'était considérablement améliorée après la première perfusion de NP001. Après avoir terminé les perfusions du procès Neuraltus, il a voulu continuer. Il craignait que l'ingestion de chlorite de sodium ne soit efficace car il serait neutralisé dans l'estomac. En janvier, il a donc commencé à l'injecter toutes les trois semaines. Il dit qu'il ne ressent aucun effet secondaire. Mr. Harris dit qu'il n'a pas informé Neuraltus de ce qu'il fait, mais estime que cela ne devrait pas avoir d'incidence sur le procès formel puisqu'il n'a commencé à s'injecter qu'après la perfusion du NP001 soit terminé.

Mr. Harris n'est pas sûr que sa méthode soit efficace, mais il a déclaré la semaine dernière qu'il s'était fait une injection et qu'en soirée, sa déglutition s'était améliorée. La vraie preuve, dit-il, viendra lorsque les participants analyseront toutes les données collectées en ligne. Mr. Harris dit qu'il sait que les résultats ne seront jamais comparables à ceux de Neuraltus.

Ils n'ont pas de groupe de contrôle, les patients décident eux-mêmes la quantité qu’ils prennent, et certains d’entre eux abandonnent leurs expériences s'ils ne ressentent aucun bénéfice, a-t-il déclaré. Mais les données seront accessibles au public, a-t-il ajouté, « le débat sur la question de savoir si la chlorite de sodium ralentit la progression de la SLA sera ouvert à tout le monde, patients, chercheurs, politiciens et médias et pas seulement aux médecins et la FDA ».

 

Traduction : Ligue SLA : Walter

Source : The Wall Street Journal

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