L'IA et l'interface cerveau-ordinateur au service des patients paralysés

02-01-2024

Les technologies qui intègrent le cerveau humain aux ordinateurs sont conçues pour aider les personnes handicapées et les patients atteints de troubles neurologiques à communiquer avec le monde extérieur. Cependant, certaines entreprises, comme Neuralink d'Elon Musk, ont ouvertement adopté l'intelligence artificielle pour accroître leur productivité. S'agit-il d'un objectif réaliste?

Parler sans l'aide du corps

En septembre 2023, une avancée dans l'actualité médicale a fait la une des journaux: vingt ans après un accident vasculaire cérébral, une femme paralysée a pu parler à nouveau, grâce à une interface dite cerveau-ordinateur (BCI) et à l'intelligence artificielle (IA). Néanmoins, il est important de noter qu'elle n'était pas guérie; les scientifiques avaient trouvé un moyen de capter, d'interpréter et de transmettre des signaux cérébraux par l'intermédiaire d'un avatar numérique. Les résultats du projet de recherche, mené par des chercheurs de l'université de Californie à San Francisco, ont été récemment présentés dans la revue Nature ("A high-performance neuroprosthesis for speech decoding and avatar control") =  ("Une neuroprothèse haute performance pour le décodage de la parole et le contrôle des avatars").

À l'âge de 29 ans, Ann a subi une attaque cérébrale au niveau du tronc cérébral qui l'a rendue incapable de parler. Bien que la médecine conventionnelle n'offre aucun espoir qu'elle retrouve sa capacité naturelle à parler, des développements récents dans la technologie biomédicale ont offert une solution.

Interface cerveau-ordinateur

Ann a été heureuse de participer à une étude au cours de laquelle les scientifiques ont implanté une matrice souple de la taille d'une carte de crédit contenant 253 électrodes directement sur son cortex. C'est exactement là que le cerveau génère et transmet les signaux électriques responsables de la parole à la mâchoire, aux muscles faciaux, au larynx et à la langue. Les signaux captés par l'implant ont été transmis à un système informatique par l'intermédiaire d'un port situé sur la tête de la patiente.

Dans un premier temps, les scientifiques ont développé et formé des algorithmes d'intelligence artificielle pour interpréter ces signaux cérébraux. Ann a répété des mots d'un dictionnaire de 1024 mots jusqu'à ce que le système d'intelligence artificielle établisse une corrélation précise entre les signaux électriques et les mots, ou plutôt les phonèmes (sous-unités des mots). Cette approche a considérablement accéléré l'interprétation de la parole, permettant au système d'interface cerveau-ordinateur de reconnaître 80 mots par minute.

Les chercheurs sont allés plus loin en reproduisant la voix d'Ann à l'aide d'un algorithme de synthèse vocale basé sur un échantillon de voix enregistré avant sa paralysie. Son avatar ne s'est pas contenté de parler, il a également synchronisé les muscles du visage, les mouvements de la bouche et des lèvres. Lorsque Ann pensait à des mots, son avatar agissait comme son traducteur personnel. Cela a eu un impact émotionnel profond sur elle, car elle a pu communiquer à nouveau.

Bien que la technologie en soit actuellement à la phase pilote clinique, les chercheurs souhaitent apporter une aide à ces patients à l'avenir. Le principal défi consiste à développer une technologie sans fil pour envoyer les signaux cérébraux au système informatique afin de faciliter la solution pour les patients.

Les machines pourront-elles bientôt lire dans les pensées?

Le développement des interfaces cerveau-ordinateur (BCI) a une longue histoire; la première implantation d'électrodes dans le cerveau a eu lieu dans les années 1990. Le concept d'ICB remonte aux années 1940 et 1950, mais il a fallu attendre l'avènement des systèmes d'intelligence artificielle pour que des progrès significatifs soient réalisés. 
Notamment, Stephen Hawking, décédé en 2018 après avoir été diagnostiqué avec une maladie du motoneurone, communiquait à l'aide d'un ordinateur qui traduisait les mouvements de ses joues en voix plutôt que d'interpréter directement les signaux du cerveau.

Le cas d'Ann représente une avancée majeure, non seulement en raison de la technologie elle-même, mais aussi de la rapidité de la traduction des signaux en paroles. Les solutions précédentes ne permettaient d'obtenir qu'un mot toutes les 20 secondes, ce qui limitait considérablement les possibilités de communication. 
Les scientifiques restent prudents dans leur enthousiasme, car de nombreux défis doivent encore être relevés. Elon Musk, fondateur de Tesla, a toutefois un point de vue différent. En septembre de cette année, Neuralink a lancé les premiers essais cliniques avec une interface cerveau-ordinateur chez des personnes atteintes de quadriplégie causée par une lésion de la moelle épinière cervicale ou de sclérose latérale amyotrophique (SLA).

Communiquer sans fil avec les ordinateurs

Bien que Musk affirme que son objectif principal est d'aider les patients paralysés, sa vision va beaucoup plus loin. Il imagine qu'à l'avenir, chaque individu sera capable d'interagir avec les ordinateurs et l'intelligence artificielle sans avoir besoin d'un clavier, ce qui permettra d'accroître considérablement les capacités cognitives. À cette fin, Neuralink a mis au point un robot chirurgical spécialisé pour implanter des BCI dans le cerveau. L'essai clinique prévu évaluera la sécurité et l'efficacité de l'implant (N1) et du robot chirurgical (R1), ainsi que leur capacité à permettre aux personnes paralysées de contrôler des appareils externes par la pensée.

Les implants présentent des limites importantes en raison des complications chirurgicales. C'est pourquoi les chercheurs explorent également des alternatives sans fil. Au lieu des implants, des méthodes telles que l'EEG, l'IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) et la fNIRS (spectroscopie fonctionnelle dans le proche infrarouge) sont utilisées. Les premières expériences suggèrent qu'il est possible de lire dans les pensées en mesurant et en interprétant l'activité cérébrale de cette manière à l'aide d'algorithmes d'intelligence artificielle. Néanmoins, cette technologie est limitée par le fait qu'elle nécessite des équipements d'imagerie cérébrale de grande taille.

L'IA améliore les capacités cognitives

Au cours de l'année écoulée, les scientifiques ont découvert une autre pièce du puzzle qui pourrait accélérer leur quête de développement d'ICB sûrs, non invasifs et efficaces: l'intelligence artificielle générative. Ce type d'intelligence artificielle peut créer du texte, de la musique et des images sur la base de simples descriptions, également appelées "invites". Bien qu'il soit trop tôt pour fournir des détails, les personnes paralysées pourraient être en mesure d'effectuer diverses tâches, telles que la création artistique ou l'écriture de livres, simplement en contrôlant par l'esprit des outils d'IA tels que ChatGPT.

Actuellement, les efforts se concentrent principalement sur des solutions plus simples, telles que le contrôle de prothèses intelligentes, d'exosquelettes ou de robots pour aider les patients à retrouver leur indépendance, souvent appelées neuroprothèses. En outre, les solutions basées sur le neurofeedback sont prometteuses pour traiter des maladies telles que la dépression, le TDAH et l'épilepsie, et pour personnaliser la rééducation des patients ayant subi un accident vasculaire cérébral.

Développeurs d'interfaces cerveau-ordinateur

Neuralink n'est pas le seul prétendant à la direction du développement des interfaces cerveau-ordinateur. CTRL-Labs, une filiale de Meta (anciennement Facebook), vise à créer des applications dans l'industrie du divertissement, notamment des jeux basés sur la réalité virtuelle et le métavers.

Une question reste pour l'instant sans réponse: les sociétés commerciales qui investissent des milliards de dollars dans la technologie BCI sont-elles principalement intéressées par la création d'un nouveau type d'être humain intégré à un ordinateur? Jusqu'à ce que cette question soit résolue, les BCI offrent un grand espoir aux patients paralysés de retrouver le don de la communication naturelle et de l'indépendance.

L'année dernière, le groupe mondial de normalisation pour l'"interface cerveau-ordinateur" a été créé. L'objectif de ce groupe est d'assurer la normalisation dans le domaine de l'interface cerveau-ordinateur pour les technologies de l'information afin de permettre la communication et l'interaction entre le cerveau et les ordinateurs qui peuvent être appliqués dans différents domaines.
                                             

                                    Source: Arthur Olesh, rédacteur en chef ICT&health International

Traduction: Gerda Eynatten-Bové
 

 

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