Première mondiale : implant cérébral réagit au syndrome d’enfermement Entretien avec Steven Laureys
25-04-2022
Pour la première fois, un homme complètement paralysé peut exprimer ses pensées grâce à un implant cérébral. Un succès qui pourra avec un peu de chance apporter une solution aux milliers de patients souffrant d’un syndrome d’enfermement. Mais ceci évoque - bien sûr - aussi des questions d’éthique. MediQuality a réalisé un entretien avec le Prof. Dr. Steven Laureys, expert mondial dans le domaine des états de conscience modifiés.
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Il s’agit d’une première mondiale : grâce à un implant cérébral un homme complètement paralysé peut exprimer ses pensées. Le patient souffrant de SLA à un stade avancé a subi une intervention en vue d’implanter des électrodes afin de pouvoir communiquer par des signaux neuronaux. L’implant enregistre les signaux cérébraux et permet à l’homme “enfermé” de choisir des lettres et de former des mots. La publication de ces recherches s’est effectuée dans Nature Communications. Au cas où ce système se révèle être fiable pour toutes les personnes souffrant d’enfermement et s’il est efficace et abordable, “il se peut que des milliers de personnes disposent d’un moyen de communiquer à nouveau avec leur famille et leurs équipes soignantes”, déclare Reinhold Scherer, en tant qu’ ingénieur neuronal auprès de l’université d’ Essex.
Les scientifiques ont implanté deux électrodes de réseau carrés de 3,2 millimètres de largeur dans la partie du cerveau qui contrôle les mouvements. Lorsqu’on demandait à l’homme de bouger les mains, les pieds, la tête et les yeux les signaux neuronaux n’étaient pas suffisamment cohésifs pour donner une réponse par oui ou non, comme l’explique l’ingénieur biomédical Ujwal Chaudhary.
Après trois mois d’efforts infructueux, l’équipe a essayé du neurofeedback où une personne a tenté de modifier les signaux cérébraux en mesurant en temps réel le succès. Un son audible est devenu plus net comme la décharge électrique dans les alentours de l’implant a accélérée et s’est affaiblie quand elle a ralentie. Les chercheurs ont demandé au particpant de changer le ton en utilisant n’importe quelle stratégie. Pendant la première journée, il a pu déplacer le ton et durant la journée 12 il a pu faire correspondre le ton à une zone cible. “ Ça sonnait comme de la musique à mes oreilles”, se souvient Chaudhary. Les chercheurs ont affiné le système en recherchant les neurones les plus réactifs et en précisant comment chaque neurone a changé grâce aux efforts du particpant.
Quel est l’avis du Prof. Dr. Steven Laureys à ce propos? Il est expert mondial en matière de niveaux de conscience modifiés et en tant que neurologue il est connecté au Centre du Cerveau et il est directeur de l’unité de recherches GIGA Consciousness à l’Université de Liège et idem hôpital universitaire.
"Je trouve très intéressant de développer des technologies qui aident les patients à regagner leur voix et leur impacte sur leur autonomie et leur autodétermination. Comme démontré dans notre centre depuis déjà 25 ans, nous avons toujours sous-estimé d’un point de vue historique les capacités cognitives de personnes handicapées. Dans ce cas bien précis, il s’agit d’une maladie progressive. Cela diffère des patients victimes d’un jour à l’autre d’un accident. Mais cela démontre comment cette technologie basée sur des super électrodes et des algorithmes avancées d’intelligence artificielle signifie un pas en avant pour ces patients. Je préfère déployer la technologie pour ce type de progrès que de mettre les pieds dans Metaverse et l’ambition d’Elon Musk d’améliorer le cerveau naturel. Cette vision selon laquelle la technologie veut faire de nous des super personnes, me parait très compliquée. Ici cela constitue une aide à des personnes, ce qui est extraordinaire.”
Mais il vous reste des réservations...
Oui, comme ce sont les recherches qui ne modifient pas forcément grand chose dans cette phase de la vie de tous les jours des patients. C’est pourquoi je suis co-fondateur de Mind Care International Foundation conjointement avec la Fondation Roi Baudouin afin d’aider ces patients, tout comme tous ceux qui luttent avec une lésion cérébrale légère ou sérieuse. Mais aussi en vue d’effectuer des recherches supplémentaires. Je crois que dans ce domaine il s’agit d’un défi considérable. Ces patients sont quelque peu abandonnés. En outre, il existe un débat éthique. Qu’allons-nous faire du patient qui communique? Comment allons-nous modifier le parcours de soins? Qu’en est-il des droits du patient aux soins, mais aussi à l’euthanasie? Pouvons-nous accorder notre confiance à un appareil sur ce sujet? Le patient produit à coup sûr des phrases qui ne sont pas accidentelles, mais il peut y avoir un biais d’un scientifique passionné qui ne sait que trop bien comment engendrer le “buzz” technologique qui s’impose.
Et pourtant c’est magnifique.
Oui. L’intervention chirurgicale fait que la technique soit envahissante. Nous n’exécutons pas cette dernière, mais collons des électrodes sur la surface cérébrale. Le plus important est d’interpréter les résultats enregistrés. Nous participons à pas mal de projets européens, y compris celui appelé Human Brain à l’aide d’outils “plug and play” tels Mindbeagle. Car il faut une armée d’ingénieurs afin de faire fonctionner l’appareil dont il est question. Il est compliqué de mettre en oeuvre dans nos centres ou chez nos patients à domicile. Cette équipe se sert d’une petite astuce, à savoir que le patient s’imagine de bouger les yeux et l’intelligence artificielle saisit quelles neurones sont mises en marche à ce moment précis. Ensuite cette intelligence artificielle “interprète” l’activité neuronale.
Mais si la phrase est “Aidez-moi à mourir” l’équipe note qu’elle le refuserait. Ils s’adresseraient à la famille afin de discuter des désirs du patient.
À coup sûr. Et après un certain temps les électrodes fonctionnent moins bien. Le débat éthique concerne le remplacement de ces électrodes. Une polémique au sujet du niveau de ce travail court aussi. Niels Birbaumer, attaché à l’ Université de Tübingen, est le pionnier et son travail n’est pas incontestable. Il a été sanctionné, mais a gagné le procès qui devait annuler les sanctions. Cela illustre parfaitement les difficultés que vivent les chercheurs dans ce domaine au sein d’un monde académique extrêmement difficile, qui réagit rapidement à juger le travail des autres. Sans aucun doute, il existe des chercheurs qui commettent une fraude, mais le préjugé doit être bienveillant et favorable aux scientifiques au lieu de les juger trop vite à refaire les recherches “après coup”. Quoiqu’il en soit, la fraude fait toujours surface, car la science continue à construire dans une espèce de symbiose avec les études d’autres chercheurs. Tôt ou tard, la fraude sort toujours. En outre, le comité éthique existe pour protéger des patients. Les familles de patients souffrant du syndrome d’enfermement sont toujours très contents quand nous faisons des recherches. Lorsqu’approche la fin de la vie, ils veulent donner un sens à celle-ci et ils sont contents de participer à cette espèce d’études. Cela est en effet compliqué, et nous devons faire attention mais dans ce cas-ci l’équipe a fait cela en toute transparence. Il n’existe pas de standard or pour ce qui est des études au sujet d’états de conscience. Pas de scanner, aucune biopsie, aucune autopsie. Mais nous ne pouvons pas ignorer des pensées, des observations et des émotions. Ou le chercheur s’auto-censure par le biais du conformisme. Nous nous trouvons ici sur un terrain très sensible, qui mérite un multidimensionnel et un débat sur le fond.
Traduction: Eric Kisbulck
Source: MediQuality