Tous les yeux fixés sur l’ARN

12-02-2013

La liste des protéines de liaison à l’ARN, liées à la SLA est en augmentation; l’ARN peut ainsi expliquer la raison pour laquelle une mutation commune provoque cette maladie fatale de neurones moteurs – et une démence.

Durant l’été de 2011, une enquête de 3 ans sur la génétique de la SLA par des équipes de chercheurs de deux continents arriva à son terme. Ce consortium international a réduit la recherche pour une mutation qu’ils savaient provoquer la SLA dans certaines familles au niveau de trois gênes sur le chromosome 9. Une recherche détaillée, utilisant une diversité de nouvelles technologies de séquençages et une puissance très élevée d’ordinateur, ne permit pas de faire apparaître quelle mutation était responsable.

Sachant que quelque chose d’inhabituel devait se cacher dans ce segment de l’ADN, Bryan Traynor, un génétitien de la U.S. National on Aging (vieillissement) à Bethesda, Maryland, regarda de plus près une séquence particulièrement suspecte. Lorsqu’un algorithme de l’ordinateur ne réussissait pas clairement à assembler les séquences pertinentes de l’ADN de membres de familles affectées, Traynor les rangea manuellement. « Il me fallut retourner au papyrus et au crayon afin de mettre cela au point », plaisanta-t-il.

A ce moment, Traynor fut la première personne à faire des recherches sur la cause commune la plus connue et de la SLA et de la maladie de neuro-dégénérescence appelée démence fronto-temporale (FTD en anglais ou DFT). Ce qu’il vit dans l’ADN du patient atteint de la SLA était la séquence nucléotide GGGGCC se reproduisant elle-même à maintes reprises, beaucoup plus que chez les membres de la famille non affectés. Parce que ce type de mutation était impliqué dans d’autres maladies neurodégéneratives – des séquences d’ADN provoquant la maladie de Huntington et le syndrome du X fragile, par exemple – Traynor était sûr que la longue recherche du consortium était arrivée à son terme.

En effet, une équipe dirigée par Rosa Rademakers de la « Mayo Clinic » de Jacksonville en Floride, découvrit la même répétition dans le gêne, provisoirement enregistré sous C90RF72. Les deux groupes ont publié simultanément ces résultats dans la revue Neuron en septembre 2011. Il apparut rapidement qu’il s’agissait de loin du gêne de la SLA le plus important découvert à ce jour. Le mutant C90RF72 représente 40% de la SLA familiale et 21% de la DFT familiale. Il a été également trouvé dans 7% des cas de la SLA sporadique, dans lequel il n’y a pas d’historique familiale – la majorité des cas – et dans 5% de la DFT sporadique.

« Pour la première fois, nous avons montré que la génétique peut être à la base d’une maladie apparemment sporadique », dit Traynor.

Le monde scientifique est dans l’attente de trouver comment la mutation provoque la LSA – ou comment, chez certaines personnes, des mutations imperceptibles déclenchent plutôt la DFT. La SLA enlève à une personne le contrôle de certains muscles mais ne touche pas à son esprit, alors que la DFT fait le contraire.(un grand nombre de patients expriment les symptômes des deux maladies à des degrés divers).

L’hypothèse la plus courante est que le long ADN répété fait naître un bloc gonflé d’ADN qui crée un piège à l’intérieur de certaines cellules pour une ou plusieurs protéines de liaison à l’ARN et qui sont nécessaires à une fonction de neurones ou à leur survie.

Des protéines de liaison à l’ARN, ont fait l’objet d’un examen minutieux dans la SLA depuis 2006, lorsqu’une d’entr’elles, la TDP-43 (en anglais), a révélé être le fabricant des dépôts de protéines anormales, connus comme inclusions, trouvés dans les neurones moteurs dans la plupart des cas de SLA (Science, 6 octobre 2006, p.42).Des mutations dans les gênes pour TPD-43 et dans FUS, aussi une protéine qui se lie à l’ARN, peuvent provoquer la SLA, et des mutations dans la troisième protéine de liaison à l’ARN, ataxin-2, sont un facteur de risque énorme pour la maladie.

Bien que les neurones de la SLA subissent différents types de disfonctionnement, les nombreuses découvertes récentes ont mené à la « convergence d’idées » que les erreurs dans le développement de l’ARN sont en relation directe avec la SLA et elles peuvent être relatées à tous les problèmes cellulaires, selon le biochimiste Don Cleveland de la University of California (UC), à San Diego. D’autres sur le terrain prônent que la SLA pourrait être actuellement plusieurs maladies bien distinctes avec différentes causes, les erreurs de développement de l’ARN n’en étant qu’une seule. Néamoins, Clevelend dit, »depuis le mois de septembre dernier, cela a été le moment le plus excitant de découvertes dans la SLA dans l’histoire de la planète ».

 

Limite intérieure
Ce que les protéines de liaison à l’ARN font – ou ne font pas si c’est le cas – dans la ALS et la DFT reste largement une inconnue. Cela est dû partiellement au fait que chaque protéine peut lier tant d’ARN, des milliers dans certains cas, qu’il est difficile de savoir quels ARN sont importants dans la maladie. Entre autres fonctions, les protéines de liaison à l’ARN égalisent, coiffent, escortent, dégradent, et par ailleurs transforment les ARN messagers, qui portent la séquence ADN transcrite du nucleus de la cellule au cytoplasme pour la translation dans la protéine. »Il y a toujours des protéines de liaison à l’ARN impliquées dans chaque étape des différents processus cellulaires» dit Robert Bowser, neurobiologiste au » Barrow Neurological Institute » à Phoenix.

Pour les chercheurs de la SLA et de DFT, une clé inconnue est ce qui déclenche les protéines de liaison à l’ARN à s’agréger dans les inclusions vues dans les neurones et autres cellules du système nerveux des patients. Une hypothèse est que les inclusions viennent de granules de stress, de billes denses de protéines de liaison à l’ARN qui surgissent normalement dans les cellules en réponse au stress cellulaire. Les granules de stress piègent les ARN et préviennent leur translation en protéines, probablement pour ménager les ressources cellulaires jusqu’au moment où le stress est parti. « Mais comme conséquence d’avoir cette grande fonction, elles sont davantage susceptibles de se regrouper dans une maladie dans un mode incontrôlable », dit le généticien Aaron Gitler de la Stanfort University à Palo Alto en Californie. Normalement les granules de stress se dissolvent éventuellement et libèrent les ARN piègés, mais sous stress persistant – ou dû à des facteurs de risques génétiques – ils peuvent persister et se transformer en des inclusions cytoplasmiques massives trouvés dans la SLA et DFT.

Une évidence génétique appuie cette idée. En 2010, Gitler, à cette époque à la University of Pennsylvania (Penn), et son collègue Nancy Bonini rapportent que quelque 5% de tous les patients atteints de la SLA ont une mutation dans le gêne qui encode la ataxin-2, une protéine de liaison à l’ARN impliquée dans l’assemblage des granules de stress. Des études plus récentes suggèrent que la ataxin-2 mutée contribue effectivement à la formation d’inclusions.

La séquence de six nucléotides répétée dans le gène C90RF72 peut générer un autre genre

d’agrégat – dans le nucleus de la cellule, non pas dans le cytoplasme.

Des rechercheurs suspectent fortement que cette séquence ADN répétée, qui se trouve dans une région non codée du gène, donne lieu à une structure ARN non naturelle qui capture une ou plusieurs protéines de liaison à l’ARN. Et le nombre élevé de séquences répetées – au moins 30, et souvent des centaines et même des milliers – pourrait séquestrer suffisamment de protéine pour perturber un neurone et provoquer sa mort. En effet, le groupe de Rademakers a fourni des preuves de foyers d’agregats de l’ARN enregistré post mortem dans le cerveau et la moëlle épinière de porteurs de la mutation C90RF72. « La course consiste finalement à comprendre ce qui y séquestre la protéine de liaison à l’ARN ». dit Gitler.

Il y a des précédents pour une telle séquestration provoquant la maladie. Le cas le plus connu est la dystrophie myotonique, une forme adulte de dystrophie musculaire, dans lequel un nucléotide répété trois fois expansé séquestre une protéine qui peut se fixer à l’ARN appelé masque de muscle qui est impliqué dans le splicing de la ARN, formant des foyers d’ARN.

Si les foyers d’ARN nuisent aux neurones ou comment ils le font n’est pas connu. Et les chercheurs ne peuvent toujours pas se mettre d’accord si les inclusions cytoplasmiques dans les neurones de la SLA ou de DFT tuent les cellules soit parce que les protéines de liaison à la ARN ne peuvent effectuer leur fonction normale, soit parce que les agrégats acquirent une fonction nouvelle mais toxique. La réponse peut être double. »Je pense personnellement que les meilleures données obtenues montrent que c’est aussi bien le gain et la perte de fonction qui est important », affirme Gitler.

 

Les prisonniers non identifiés
Une conclusion définitive, selon Zissimos Mourelatos, un pathologiste à Penn, doit attendre jusqu’à l’identification des ARN, si’il y en a, qui ont été capturés dans les inclusions trouvées chez les personnes atteintes de la SLA ou DTF. Un tel travail est actuellement mis en route dans différents laboratoires utilisant une nouvelle technique appelée CLIP-seq. Cette technique utilise des radiations ultraviolettes pour créer une liaison chimique entre les protéines de liaison à l’ARN et leurs ARN, permettant la purification de ces derniers et ensuite leur séquençage et identification. En septembre, un groupe de l’UC San Diego rapporta dans Nature Neuroscience qu’ils avaient utilisé le CLIP-seq pour montrer les ARN communs aux TDP-43 et aux FUS. Plusieurs de ces ARN codent pour des protéines importantes dans la formation et le fonctionnement du synapse, suggérant qu’un agrégat diminue le nombre de protéines synaptiques, provoquant une neurodégénérescence.

TPD-43,FUS et ataxin-2 ne seront pas les seules protéines de liaison à l’ARN impliquées dans la SLA, prévoient Gitler et Mourelatos. « Nous pensons qu’il s’agit du sommet de l’iceberg, » dit Gitler. En effet, en septembre dansActua Neuropathologica, le groupe de Bowser rapporta avoir trouvé des inclusions contenant la protéine de liaison à l’ARN nommée RBM45 dans le cytoplasme de cellules de la moëlle épinière de 21 de 23 patients, par rapport à aucun dans sept cas de contrôle. (des inclusions contenant des RBM45 étaient également présentes chez tous les six patients testés atteints de DFT.) On n’a pas trouvé de mutation dans le gène de RBM45 dans la SLA mais cela était également vrai pour TPD-43 lorsqu’il fut trouvé la première fois dans des inclusions dans la SLA et DFT en 2006.

A Penn, le groupe de Gitler clona les gènes de près de 200 protéines qui peuvent se fixer à l’ARN et les introduit individuellement dans des cellules de levure, les vérifiant sur leur agrégat et leur toxicité. Gitler a trouvé jusqu’ici des mutations dans deux de ces protéines, TAF15 et EWSR1, dans différentes personnes atteintes de la SLA ou DFT, suggérant de possibles rôles dans la maladie. » Je suis assez confiant dans le fait qu’il doit y avoir des protéines additionelles de liaison à l’ARN que vous verrez bientôt dans la littérature, » affirma-t-il.

 

Qu’y a-t-il de spécial concernant les neurones ?
Tous posent la question de savoir pourquoi les neurones sont si sensibles au changement dans les protéines de liaison à l’ARN, tandis que la plupart des autres types de cellules ne semblent pas affectées. « C’est une grande inconnue, » dit Mourelatos,qui suggère que la grande quantité de splicing de gènes requise pour la production de protéines spécialisées isoformes aux synapses, les points de connection entre les neurones, pourrait être un facteur. » Il y a beaucoup de traitements d’ARN qui se passent dans les neurones, » dit-il. Gitler spécule sur le fait que la longueur absolue des neurones moteur – chez l’homme, un seul axone de neurone moteur peut atteindre plusieurs pieds – peut les rendre davantage dépendant du trafic et de la transformation des ARN.

D’autres chercheurs soulignent que, pour la SLA au moins, des défauts dans le développement des ARN pourrait ne pas être toute l’histoire. « Je pense qu’il s’agit d’une maladie bien plus compliquée que cela » met en garde Lucie Bruijn, chef scientique auprès de la ALS Association (l’association SLA) qui a son siège à Washington D.C. Bruijn cite des disfonctionnements mitochondriaux et des défauts dans le transport le long des axones des neurones moteurs comme deux traits importants de la pathologie de la maladie SLA. Par exemple, un récent article dans Nature décrit des mutations provoquant la SLA dans le gène profilin-1. Ce dernier affecte la croissance des axones et régule l’actine, une protéine abondante et critique non impliquée dans le développement des ARN. « Ce n’est pas clair pour moi comment nous pourrions mettre cette découverte dans un monde de protéines de liaison à l’ARN, » admet Cleveland. « Donc c’est un peu déroutant. »

Et un camp de chercheurs SLA maintient que ce n’est pas un développement défectueux des ARN mais une défaillance du système de disposition des protéines des cellules qui cause la maladie; des mutations dans différents gènes impliquées dans l’enlèvement des protéines sont responsables pour une proportion faible de la SLA familiale. La plupart des chercheurs pensent qu’une combinaison de développement défectueux des ARN et un enlèvement manqué de protéines est responsable pour la plupart des cas. « Comment les deux se rencontrent au milieu, nous ne le savons pas, » dit Traynor.

La concentration intense actuelle sur les méchanismes de maladie devrait maintenant être accompagnée par des efforts de développement de thérapies, avant même que ces controverses ne soient résolues, dit Bruijn. La ALS Association, en plus du financement de modèles de souris pour étudier l’expansion du gène C90RF72, collabore également avec Isis Pharmaceuticals pour le développement de médicaments ADN « antisens » pour lier et neutraliser les séquences répétées dans l’ADN. Bien que découvrir la fonction des mutations est importante, dit Bruijn, « nous ne trouverons peut-être jamais exactement la fonction ou seront tous d’accord. Et peut-être si nous nous débarassons de cette grande expansion, il y aura un intérêt thérapeutique ».

KEN GARBER
(c’est un rédacteur free-lance basé à Ann Arbor, Michigan)

 

Traducteur : Luc Michiels

 Source : Science

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